DU CHOCOLAT MADE IN GABON? 

Avec Kakao Mundo, Sébastien et Jonathan Ayimambenwe se sont lancé le pari de produire du chocolat au Gabon. Entre Lille et Libreville, les deux frères ne cessent de participer à des rencontres économiques pour vendre leur concept.

L’un est à Bruxelles, l’autre à Lille, mais la complicité de Sébastien et Jonathan transcende les frontières. Au milieu des années 2000, depuis la cuisine de leur mère à Libreville, les deux frères cofondateurs de la marque Kakao Mundo se sont lancé le défi de produire du chocolat made in Gabon. Ce souvenir marquant de leur mère dans sa cuisine autour de produits importés, ils l’ont gardé et le réactivent pour expliquer la philosophie de leur entreprise. «Nous avons grandi avec des produits étrangers, notre vœu était d’en créer qui viennent de chez nous, avec une matière première issue de nos terres», raconte Jonathan.

Lorsqu’ils exposent leur projet au gré des rencontres, leurs interlocuteurs restent d’abord perplexes. En effet, comment produire du chocolat dans un pays qui exploite ses forêts tout en les préservant, au point d’être le premier pays du continent à tirer profit des crédits carbone

Pour répondre à cette problématique, Jonathan et Sébastien rappellent que le Gabon est un pays producteur de cacao depuis longtemps, avec presque 500 tonnes produites par an. Les premiers plants de cacao ont été introduits dans le pays au début des années 1950. Depuis 2019, plus de 285000 hectares de terres arables ont été aménagés dans le pays pour réduire sa dépendance agricole. Disponibles sur l’ensemble du territoire, ces zones agricoles à forte potentialité (ZAP) n’attirent pas énormément les agriculteurs locaux. Ce sont pourtant ces espaces que visent les frères Ayimambenwe. «Notre idée est de travailler dans ces zones en respectant la forêt. Elles sont faites pour ça. Nous ne coupons aucun arbre», confie Jonathan, le cadet des frères.

L’échec de Sayiman

Investis dans toute la chaîne de production du chocolat, Sébastien et Jonathan œuvrent depuis 2009 à la concrétisation de leur projet. Exigeants l’un envers l’autre, ils mettent en place un «plan Marshall» pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Leur but? Convaincre leurs proches de s’investir à leurs côtés dans la startup. Ils réquisitionnent la cuisine familiale qu’ils transforment en laboratoire, les cousins «aident au maximum» et leur père s’occupe des livraisons de cacao.

Avant ce retour à la terre, les frères franco-gabonais, qui ont grandi à Libreville, sont partis en France pour se former. Ils ont intégré tous les deux l’université de Poitiers dans l’ouest de l’Hexagone. L’aîné, Sébastien, est titulaire d’un master en gestion des entreprises obtenu en 2003. Jonathan obtient de cette même université un master en bio-informatique en 2007. Diplômes en poche, le duo inséparable investit 30000 euros pour acquérir trois hectares de vergers dans le Moyen-Ogooué, le fief familial. Au fil du temps, d’autres acquisitions foncières leur permettent de multiplier par cinq la superficie totale de l’exploitation familiale, la faisant passer à 15 hectares.

Dans la foulée, ils lancent une première société. Dénommée Sayiman, la PME est destinée à réhabiliter et à gérer les plantations de cacao. Mais l’entreprise coule à cause de leur manque de connaissance en agronomie et du faible rendement de leurs plantations qui en découle.

Incubés par Euratechnologies

Après cet échec, les deux frères décident de retourner se former. Pendant trois ans, ils arpentent les forêts sud-américaines pour étudier les variétés de cacao et les techniques pour assurer leur rendement. Costa Rica, Mexique ou encore Haïti… Sébastien et Jonathan partent à la rencontre des producteurs. «Le Gabon a les mêmes spécificités agricoles que ces pays. Il était important pour nous d’y aller pour comprendre comment fonctionne la culture du cacao», explique Jonathan. Ils se rendent aussi en Europe et en Asie pour assimiler les méthodes de fabrication du chocolat.

Loin derrière la Côte d’Ivoire ou le Ghana, le Gabon relance sa filière cacao

Malgré cet accompagnement et ces explorations, Sébastien et Jonathan ne sont pas satisfaits. Il cherche encore un moyen concret d’apporter une valeur ajoutée à leurs activités. Les frères vont trouver la solution du côté des Américains. Ils soumettent leur projet au programme Young African leaders initiative (Yali) en 2017 et obtiennent une bourse. Sébastien prend l’avion pour suivre durant trois mois des cours au sein de l’université Purdue, aux États-Unis. Surnommée «le berceau des astronautes», Purdue compte parmi ses illustres diplômés Akinwumi Adesina, actuel président du groupe de la Banque africaine de développement (BAD). Les frères intègrent ensuite Euratechnologies dans la région Hauts-de-France, un important incubateur européen de startups. Kakao Mundo est donc couvé sur le site de Valenciennes à partir de 2019.

Phase de lancement

En 2020, ils se remettent en selle et ouvrent leur chocolaterie. La marque Bantoo Chocolate est créée en 2020. Situé à Libreville, son atelier produit près de 500 tablettes de chocolat par jour. Kakao Mundo et ses dirigeants ont investi au Gabon dans une nouvelle machine capable de broyer une tonne de fèves par mois. Sans révéler le coût dacquisition de cette machine, Jonathan ne cache pas sa joie de transformer 30 tonnes de chocolat par an. «Nous produisions certes du cacao, mais il nous fallait apporter une plus-value», souligne-t-il.

Désormais, les deux frères passent leur temps entre les sites de production au Gabon et leur nouvel atelier de chocolat à Lille, dans le nord de la France. Inauguré en début d’année, ce site fonctionne avec deux salariés. Malgré l’accent mis sur la communication autour de l’entreprise, les profits ne sont pas au rendez-vous. Immatriculée en France, la jeune entreprise essaie dans un premier temps de fidéliser ses clients et partenaires.

Une affirmation nuancée par Sébastien. «Nous ne pouvons pas communiquer notre chiffre d’affaires, car il est très faible. La raison est simple, nous sommes toujours à la phase pilote du projet. Le but actuellement est de faire connaître notre marque en signant des partenariats», précise-t-il. Les partenariats, Kakao Mundo en a signé, notamment avec Eurochocolate, un salon italien, en 2023. Sébastien, qui dirige la partie financière de l’entreprise, affirme que les investissements actuels se concentrent sur trois axes essentiels : la transformation, la communication et le réseautage (entre 10 et 15 salons par an).

Asseoir sa légitimité

Flavia Ruffinelli, directrice générale d’Eurochocolate, confirme la qualité des deux commerçants affables et bienveillants, selon elle. Le petit plus qui a poussé les organisateurs à contacter Sébastien et Jonathan, c’est l’originalité de leur projet. «Il implique la création de barres produites directement dans les plantations de cacao. Leurs tablettes sont toujours vendues dans notre boutique au centre de Pérouse».

S’ils n’ont pas encore obtenu les labels nécessaires pour être qualifiés de marque bio et écoresponsable, les entrepreneurs cultivent la transparence autour de leurs activités. Pour prouver leur bonne volontéSébastien et Jonathan se sont rapprochés de la section française de lONG WWF. «Nous avons intégré le petit comité de la WWF qui travaille sur la question de la production de cacao durable dans le bassin du Congo», détaille Sébastien. Cet impératif de transparence se retrouve au cœur de leur démarche auprès des paysans avec lesquels Sébastien et Jonathan collaborent au quotidien. En effet, la production de lentreprise elle-même ne couvre que 30 % des besoins de la chocolaterie. «Les agriculteurs de notre réseau sont connus et identifiables. Nous nous inscrivons dans un partenariat gagnant-gagnant avec les communautés. Il faut que les personnes qui cultivent puissent profiter convenablement de nos ressources», complète Jonathan.

Face à la hausse actuelle des cours du cacao et aux difficultés des principaux pays producteurs à assurer les commandes, Kakao Mundo croit en ses chances. D’autant que la directive européenne sur la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE), qui entrera en vigueur en janvier 2025, renforce encore la traçabilité du cacao. Une exigence «légitime» maintient Jonathan : les frères ont mis en place dès 2018 un système de QR code qui permet de tracer la provenance de leurs produits. «Kakao Mundo ne fait qu’utiliser des terres à l’abandon, mais existantes. Elles ont été aménagées par la Caistab [Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles] et nous en profitons», rappelle lentrepreneur. Selon lui, ce nouveau cadre sera même, pour l’entreprise et pour le Gabon; le moment de s’affirmer dans la filière cacao. 

Source : Jeune Afrique

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