Pourquoi la monnaie unique éco ne sera pas lancée en 2027 comme prévu

La monnaie unique des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ne pourra pas être lancée en 2027 comme l’avaient annoncé les dirigeants de la région en 2021. Outre l’impossibilité de respecter les critères de convergence pour lancer l’éco, le schéma imposé par le Nigeria rend impossible l’avènement de la monnaie unique à cette date et le sujet ne semble plus une priorité.

« Nous avons une nouvelle feuille de route et un nouveau pacte de convergence qui couvrira la période 2022–2026, 2027 étant le lancement de l’éco », avait expliqué Jean-Claude Kassi Brou, président de la commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le 19 juin lors du 59e sommet ordinaire qui s’est tenu à Accra, au Ghana.

L’éco, monnaie unique des pays de la Cédéao, verra-t-il le jour en 2027 ? 

La question mérite d’être posée tant la date qui paraît encore lointaine est tout à la fois si proche, dès lors qu’il s’agit de mettre en place une monnaie unique dans un espace géographique englobant 15 pays et 8 monnaies différentes.

Si 8 pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa), membres de la Cédéao, partagent le franc CFA – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo –, les 7 autres pays ont chacun sa propre monnaie : le cédi au Ghana, le dalasi en Gambie, le dollar libérien au Libéria, le franc guinéen en Guinée, le leone en Sierra Leone, le naira au Nigeria et l’escudo au Cap-Vert.

Seulement, après l’espoir d’une nouvelle monnaie unique en 2027 né dans le sillage des réformes du franc CFA, c’est désormais l’expectative. La réforme du franc CFA semble n’avoir accouché que du transfert des réserves en devises du Trésor français vers les pays de l’Uémoa.

Pourtant, les conséquences de la pandémie de covid-19 et, plus récemment, de la crise Russie-Ukraine qui ont ébranlé les économies de la région et ont contribué à la dépréciation de certaines de ses monnaies tout en faisant exploser l’inflation sont autant de critères qui devraient pousser les dirigeants ouest-africains à accélérer la mise en place d’une monnaie régionale bien gérée.

Cependant, l’avènement de la monnaie unique semble s’éloigner au niveau de la Cédéao, en tout cas pour la date fixée à 2027. Après les reports successifs de la monnaie unique en 2003, 2005, 2009, 2015 et 2020, il est quasi certain que 2027 ne sera pas l’année du lancement de la monnaie unique de la Cédéao.

D’abord, pour lancer l’éco, il faudra d’ici 2027 que les pays retrouvent les critères de convergences dits de premier rang pour espérer lancer cette monnaie unique. Il s’agit d’un déficit budgétaire limité à 3  % du PIB, une inflation à 10  % maximum et une dette inférieure à 70  % du PIB. D’autre part, chaque pays doit respecter au moins trois ans de convergence avant que le projet de monnaie unique puisse voir le jour. Plus clairement, tous les pays de la Cédéao doivent respecter les critères de convergence à partir de fin 2023 et les préserver jusqu’à fin 2026. À titre d’illustration de la difficulté du respect de ces critères de convergence, en 2020, le seul pays de la région à les respecter tous était le Togo.

Hormis le taux d’endettement de 70  % du PIB auquel presque tous les pays de la région, à l’exception du Ghana, satisfont, les critères du déficit budgétaire et de l’inflation resteront difficilement accessibles pour certains pays. En effet, le Nigeria et le Ghana affichent depuis plusieurs années des taux d’inflation à deux chiffres et on voit mal ces deux pays revenir à un taux d’inflation respectant une inflation inférieure à 10 % d’ici fin 2023.

Concernant le déficit budgétaire, la crise liée à la pandémie de covid-19 et celle de l’Ukraine ont fait exploser les dépenses, notamment les subventions (carburants et produits agricoles), creusant les déficits des pays de la région.

D’ailleurs, lors de la 58e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao tenue le samedi 23 janvier 2021, les dirigeants ouest-africains avaient décidé d’exempter les États membres du respect des critères de convergence macroéconomique au cours de l’année 2021 afin de leur permettre de faire face à la dégradation de leurs finances publiques et de favoriser la relance économique.

Seulement, après la pandémie, la crise ukrainienne est venue aggraver la situation. Ainsi, au Ghana et au Nigeria, les taux d’inflation se sont établis respectivement à 53,6  % et 21,82 % en janvier 2023, sur une année glissante ! Certains pays de l’Uémoa qui affichaient des taux d’inflation très bas, comme le Sénégal, frôlent une inflation à deux chiffres.

Au Nigeria, première puissance économique de la région avec environ 75  % du PIB de la Cédéao, à cause de la dépréciation du naira combinée à la stabilité du franc CFA, certains    commerçants n’hésitent pas à privilégier cette monnaie régionale comme monnaie refuge du fait de sa stabilité. Cette dernière résulte de son adossement à l’euro avec une parité fixe de 1 euro égal à 656 F  CFA. Une situation qui a permis à cette monnaie des pays de l’Uémoa de rester stable vis-à-vis du dollar, avec des fluctuations identiques à celle de l’euro vis-à-vis du billet vert américain.

Dans le même sillage, entre le 31 décembre 2021 et le 13 mars 2023, le cédi ghanéen a perdu plus de 99,84  % de sa valeur, passant de 6,25 cédis à 12,29 cédis pour 1 dollar. Parallèlement, sur la même période, le F  CFA ne s’est déprécié que de 5,88  %, ce qui a permis de limiter l’impact inflationniste causé par la dépréciation de la monnaie vis-à-vis du dollar, monnaie de facturation des importations des hydrocarbures et de certains produits agricoles importés par les pays de la région.

Au chapitre du taux d’endettement, celui du Ghana se situe actuellement à plus de 80  % de son PIB. Pire, l’endettement du pays devrait croître avec l’emprunt attendu du Fonds monétaire international (FMI) qui ouvrirait également d’autres perspectives    d’endettement auprès d’autres bailleurs de fonds. En attendant, ne pouvant pas rembourser certaines de ses échéances, le pays a suspendu le paiement d’une partie de sa dette. À cause de cette dette, le déficit budgétaire s’est établi à 13,9  % du PIB en 2021, très loin du critère de 3  % fixé comme critère de convergence. Si le taux d’endettement du Nigeria se situe au-dessous de 70  % du PIB, son déficit budgétaire dépasse largement les 3  % du PIB en s’établissant autour de 6,4   %, selon les projections du FMI.

En clair, il est quasiment impossible pour ces deux pays de respecter les critères de convergences dès fin 2023. Or, le Nigeria et le Ghana, qui pèsent environ 80  % du PIB de la région et qui doivent être les locomotives de cette monnaie du fait de leurs poids économique et démographique, ne pourront pas respecter ces critères de convergence dont ils sont très éloignés actuellement.

Ensuite, le schéma adopté à Accra qui veut que l’éco soit lancé par les 6 pays de la Zone monétaire     ouest-africaine (ZMOA) qui n’ont pas le F  CFA pour monnaie – Gambie, Ghana, Guinée, Libéria, Nigeria et Sierra Leone – ne semble pas être le bon choix sachant que ce sont les pays qui sont les plus éloignés des critères de convergence.

Les pays de l’Uémoa ayant le F  CFA pour monnaie commune sont beaucoup plus proches des critères édictés. En conséquence, ce sont ces pays qui devraient donner le top départ à l’éco avant que ceux de la ZMOA viennent s’y greffer. Seulement, le poids du Nigeria a beaucoup joué et, il faut le dire, certains dirigeants ouest-africains ne voient pas d’un mauvais œil que le franc CFA continue à circuler au niveau de la région.

Bref, l’avènement de l’éco en 2027 est loin d’être un acquis. Au contraire, un énième report semble plus logique. Pourtant, avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), il est urgent pour les pays de la région de lancer la monnaie unique régionale pour doper leurs échanges avec davantage d’équité et éviter ainsi les effets des taux de change qui peuvent bénéficier à certains et en handicaper d’autres.

Pour conclure, sur le terrain, le sujet ne semble plus être la priorité des dirigeants ouest-africains. Le statu quo semble faire l’affaire de tout le monde. Le Nigeria n’a jamais montré d’intérêt pour cette monnaie unique alors que les dirigeants de la zone CFA semblent s’accommoder de cette monnaie qui, il faut le souligner, a permis d’atténuer l’inflation au niveau des pays de l’Uémoa.

Il faudra désormais attendre l’arrivée du nouveau président nigérian Bola Ahmed Tinubu à la tête de la première puissance économique de la région pour avoir une idée sur la volonté réelle du Nigeria à être le moteur d’une monnaie unique régionale.

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