L’HISTOIRE DU CHEMIN DE FER GABONAIS N’A PAS FINI DE S’ÉCRIRE !
Tout commence en 1962, quand le Gabon envisage d’exploiter son immense gisement de fer à Belinga, au nord du pays, dans la province de l’Ogooué-Ivindo. Au milieu des années 1970, feu le président Omar Bongo Ondimba matérialise le projet avec la création de l’Office du chemin de fer transgabonais (Octra). Deux bretelles de chemin de fer sont ainsi tracées : Owendo-Belinga en passant par Ndjolé et Booué pour l’exploitation du fer et Owendo-Booué pour les activités forestières. En ce même temps, Comilog connaît une montée en puissance et cherche à moderniser et fiabiliser le transport de son produit, le manganèse, jusque-là effectué par un téléphérique et une voie ferrée obsolètes. L’entreprise se montre alors très intéressée par ce projet de voie ferrée : le Transgabonais n’est plus un projet, mais une réalité. Entre 1974 et 1986, 648 kilomètres de voie ferrée relieront Libreville à Franceville. Ce chantier est loin d’être un long fleuve tranquille : la Banque mondiale refuse de le financer, « trop coûteux, inutile », selon sa direction. Ce à quoi le président Omar Bongo Ondimba rétorque lors d’une conférence de presse : « Avec ou sans la Banque mondiale, le Transgabonais se fera, nous le ferons ! ». Le premier tronçon de la voie de chemin de fer est inauguré en 1978, suivi du deuxième tronçon cinq ans plus tard. Le troisième et dernier tronçon est inauguré en 1986. Désormais, le Transgabonais siffle, il assure le transport des voyageurs et dessert quotidiennement 24 gares entre Owendo et Franceville.
En 1999, la Compagnie d’exploitation du chemin de fer Transgabonais (CECF) est choisie comme concessionnaire du chemin de fer et signe un contrat jusqu’en 2003. Cette année-là, le mandat de gestion et d’exploitation de l’activité ferroviaire change de main : il est remis à Comilog à travers sa filiale Setrag pour une période transitoire renouvelable une fois. Le mandat de la Setrag est finalement renouvelé jusqu’en 2005, année où elle obtiendra du gouvernement gabonais un nouveau mandat de 30 ans. Dix ans plus tard, en 2015, un programme de remise à niveau de la voie (PRN) est lancé pour sa réhabilitation et sa modernisation, notamment grâce à la transformation numérique. Aujourd’hui, le chemin de fer contribue à désenclaver les populations rurales, à transporter 52 % des exportations nationales et à faciliter la circulation des marchandises dans cinq provinces sur les neuf que compte le Gabon. Le chemin de fer est la colonne vertébrale de l’économie nationale.
Le Transgabonais, le chemin de fer gabonais, fait partie intégrante du patrimoine national. Il est un des maillons essentiels à l’économie du pays. Monsieur Magni, quels sont les principaux sujets d’actualité à la Setrag, sachant que lors de votre prise de fonction en octobre 2020, votre objectif clairement affiché était d’augmenter le trafic et de doter le Gabon d’un axe de communication rénové et fiable pour relier Libreville à l’intérieur de pays ?
Vous venez de résumer l’antériorité de ce patrimoine national qui entre dans sa 38e année. Le réseau ferroviaire est en phase de modernisation depuis 2017 à travers le programme de remise à niveau (PRN). Celui-ci porte notamment sur la rénovation des traverses en béton bibloc, matériau plus lourd (240 kg) et plus résistant aux conditions climatiques (25 à 50 ans de vie estimés), qui viennent remplacer progressivement le million de traverses en bois, plus légères (80 kg) et plus fragiles (durée de vie limitée à 10 ans).
Ces traverses en bois n’ont pas été remplacées depuis la construction du chemin de fer il y a plus de 30 ans. Grâce à l’entretien permanent du chemin de fer, nous sommes passés de 1000 ruptures de rails à environ 600. Chaque année, la Société d’exploitation du Transgabonais (Setrag) transporte en moyenne 230 000 voyageurs. Le transport de marchandises a plus que doublé ces quatre dernières années, passant de 4 millions de tonnes à 10 millions de tonnes en 2023. Ainsi, les infrastructures sont en pleine rénovation pour soutenir cette demande croissante.
Nous avons construit une seconde voie ferrée longue de 10 km sur les zones instables entre Andem et Mbel afin de désengorger le trafic dans cette région et de baisser considérablement l’impact des incidents liés à la mobilité du sol. Par ailleurs, nous nous dotons d’équipements de dernière génération et avons désormais un centre de gestion numérique pour améliorer la fluidité de circulation des trains ainsi qu’un outil performant dénommé train control system.
Ce dernier renforce la sécurité du trafic ferroviaire et offre la possibilité d’arrêter la circulation des trains à distance. La Setrag a également renouvelé son parc de matériel roulant avec l’achat de 6 locomotives neuves d’une valeur de 20 mds de F CFA. Ce programme de modernisation contribue pleinement au développement économique du Gabon.
La construction d’une nouvelle voie de chemin de fer fait couler beaucoup d’encre. Sachant qu’aujourd’hui la Setrag transporte 10 millions de tonnes de matières premières, que les besoins quasi immédiats sont de 19 millions de tonnes et que le fret lié aux nouvelles exploitations minières s’amplifie considérablement, quelles sont les solutions envisagées ?
Le plan de renforcement de capacité de transport de la voie à 29 millions de tonnes par an et le projet de construction de nouvelles lignes de chemin de fer pour transporter les produits industriels, miniers et forestiers vers les nouvelles zones maritimes sont des axes prioritaires de développement des plus hautes autorités du pays et sont à l’étude. Nous vous informerons en temps voulu.
Quels sont vos investissements majeurs à court et moyen terme, sachant que l’État finance les infrastructures et que la Setrag a la charge de la superstructure ?
Les autorités du CTRI soutiennent activement la mise en œuvre du PNR. Grâce à ce soutien, en 2024, nous avons rénové 300 km de voie en traverses béton bibloc et remplacé 225 km de nouveaux rails dans les zones instables. Ces actions concrètes ont permis de réduire de 35 % les incidents liés aux ruptures de rails et d’améliorer la sécurité des trains. Ainsi, le temps de parcours est désormais plus court. Les voyageurs bénéficient également d’un nouveau programme de circulation des trains : les départs de nuits ont été remplacés par des trains de jour qui partent plus tôt dans la matinée. Nos équipes travaillent également au respect de la ponctualité des trains au départ des gares d’Owendo et de Franceville. Je peux donc vous assurer que les travaux du Transgabonais avancent régulièrement et rapidement grâce à l’engagement de toutes nos équipes sur le terrain au service des usagers et des clients industriels qui font appel à nos trains de marchandises. Notre principal enjeu est de répondre à une demande qui ne fait qu’augmenter chaque année, de la part des passagers et des clients industriels.
Dans le mix transport au Gabon, quelle est la part du rail ?
Le Transgabonais constitue une artère vitale pour le Gabon puisqu’il assure le transport de la majorité des marchandises, le fret des matières premières et achemine les Gabonais à travers le pays. Ainsi, la Setrag assure son fonctionnement optimal pour soutenir le développement économique du pays.
Avec l’avènement du numérique, qu’est ce qui a changé au niveau du rail gabonais ?
Nous avons mis en place une entité dédiée à opérer la transformation numérique de nos activités. Elle a permis l’optimisation de la gestion de la circulation des trains et de la maintenance des infrastructures ferroviaires. À titre d’exemple, la gestion de la circulation des trains entre les gares, appelée « cantonnement téléphonique », est un système d’expédition et réception de trains entre gares encadrantes. Il repose intégralement sur la vigilance humaine et les liaisons entre régulateur et chef de sécurité qui échangent des informations par téléphones interposés. Ce fonctionnement a été remplacé par le « cantonnement numérique » qui a considérablement amélioré la productivité collective.
Le niveau de sécurité est désormais plus élevé, les interventions des exploitants sont limitées et les risques d’erreurs humaines ont baissé significativement. Plus largement, un panel d’outils numériques a intégré tous les aspects et activités du chemin de fer : depuis la formation, avec l’acquisition de simulateurs de conduite et de casque de réalité virtuelle, unique dans la sous-région de l’Afrique centrale, le contrôle des aptitudes et le maintien des compétences du personnel effectué grâce à notre centre de psychologie appliqué, une première au Gabon, jusqu’à la campagne héliportée qui a permis de scanner l’ensemble des sols des 648 km de voie ferrée. La fiabilité de ces outils numériques a considérablement augmenté la performance de l’entreprise. Ils sont de précieux outils d’aide à la décision. Je peux donc affirmer que la Setrag a opéré une transformation numérique globale pour devenir un chemin de fer de référence avec des standards de classe mondiale.
La Setrag a-t-elle développé une expertise interne pour la construction et l’entretien du chemin de fer ? Pensez-vous que cette expertise puisse être mise à contribution pour les projets ferroviaires à venir au Gabon ou dans la sous-région ?
Ces cinq dernières années, la Setrag a mis en place un plan de recrutement à destination des jeunes pour assurer la pérennité des métiers clés pour le chemin de fer. Ainsi, 500 jeunes Gabonais, admis en stage de professionnalisation grâce au partenariat avec le Pôle national de promotion de l’emploi (PNPE), ont été embauchés et ont rejoint les équipes de la Setrag dans tous les corps de métiers. Un système de tutorat interne complète l’instruction de ces jeunes formés au centre de formation et de perfectionnement ferroviaire de la Setrag situé à Franceville (CFPF). Ce centre de formation a lui-même bénéficié d’un investissement de modernisation important pour ses capacités d’accueil et son matériel pédagogique. Par ailleurs, le contrat d’expertise technique noué avec l’Institut de formation ferroviaire du Maroc (IFF) permet de garantir aux étudiants un niveau de formation aux standards internationaux. Enfin, nous avons lancé un nouveau projet en février 2024, pour assurer le recrutement et la formation des jeunes cadres à haut potentiel. Ce programme « Tremplin » est mené en collaboration avec le PNPE, la BGFI et l’IFF. Il devra permettre d’attirer la relève pour le management de l’entreprise de demain. Ainsi, associés au PRN, ces programmes de recrutements forment-ils une génération d’experts ferroviaires outillés pour élaborer et piloter les projets de développement de nouvelles lignes de chemin de fer au Gabon et exporter le savoir-faire gabonais dans la sous-région.
Dans le segment du transport de passagers, quels sont vos efforts pour faire voyager les Gabonais dans de bonnes conditions ?
La Setrag a pleinement conscience de sa mission stratégique, confiée par les autorités nationales, pour le désenclavement des populations. Les trains de voyageurs sont toujours prioritaires dans nos plans de circulation et toutes les équipes de la Setrag sont mobilisées pour améliorer l’expérience et le confort des voyageurs. L’investissement de 230 mds de F CFA réalisé sur 7 ans dans le cadre du PRN prend ainsi en compte l’amélioration des temps de parcours des trains de voyageurs, la construction d’espaces d’accueil dans les gares à forte affluence, la sécurité et le confort à bord des trains.
Les bénéfices de ces projets sont désormais concrets, avec des temps de parcours améliorés, la construction d’une nouvelle gare de voyageurs à Lastourville, qui a triplé sa capacité d’accueil, et un projet de construction de gare à Moanda. Ces projets constituent un défi important pour l’entreprise. Concrètement, sur l’unique voie ferroviaire, nous devons simultanément faire circuler les trains, effectuer les opérations de maintenance et de rénovation. Je peux vous assurer de la mobilisation de toute l’entreprise pour faire aboutir tous ces projets de rénovation et offrir une meilleure expérience aux Gabonais.
Quel est le message que vous souhaitez faire passer aux acteurs industriels mondiaux sur la destination gabonaise redevenue attractive ?
Aujourd’hui, grâce au climat des affaires favorable, toutes les conditions sont réunies pour faire du Gabon un territoire attractif pour les acteurs industriels internationaux. Le potentiel économique du pays est soutenu par la main-d’œuvre locale qualifiée, la disponibilité des ressources minières, pétrolières, forestières, agricoles et les infrastructures en cours de réhabilitation et de développement. Le Transgabonais joue un rôle stratégique dans ce développement. Chaque nouvel investisseur au Gabon peut compter sur notre engagement pour soutenir les activités économiques du pays.
En quoi la Setrag se distingue-t-elle dans sa vision RSE et quels sont vos projets en faveur de vos communautés ?
Filiale du groupe Eramet, la Setrag déploie la feuille de route RSE de sa maison mère, « Act for positive mining », qui détaille nos ambitions concrètes au service de la préservation de l’environnement, du développement économique local et de la réduction de l’empreinte environnementale de notre chaîne de valeur. Nous nous distinguons par une approche inclusive des parties prenantes. Les consultations publiques menées dans les cinq provinces traversées par le chemin de fer favorisent un dialogue constant d’échanges pour préserver la bonne cohabitation de nos activités et les relations harmonieuses avec les communautés locales. Ces trois dernières années, plus de 2 mds de F CFA ont été investis dans le soutien des populations dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’appui aux communautés. En 2023, le versement de près de 1, 2 mds de F CFA a permis d’apporter une contribution positive aux actions de développement identifiées par les autorités. Voici quelques exemples : la construction à Booué d’un centre de santé d’une capacité de 22 patients qui sera inauguré dans les prochaines semaines et comprend une unité médicale pour les services de médecine générale et de gynécologie, une maternité, un laboratoire, un bloc opératoire et deux bâtiments pour le logement du personnel ; la rénovation des établissements scolaires et des logements de directeurs d’établissements à Owendo, Ndjolé, Lastourville et Booué ; un projet d’électrification des villages situés le long du chemin de fer à partir d’énergies renouvelables, premier pilote lancé dans les localités de Mbel et Mouyabi ; la construction de deux forages d’adduction d’eau qui permettent aux communautés de la province du Haut-Ogooué d’accéder à une eau potable de qualité et en quantité suffisante ; la construction d’un marché à Andem ; le déploiement de campagnes de sensibilisation sur les risques d’accident envers les élèves des établissements scolaires à proximité des passages à niveau et dans les villages à proximité de la voie ferrée dans les cinq provinces. Nous nous engageons également pour la protection de l’environnement. Des équipements de collecte des déchets ménagers pour nos communautés voisines ont été construits. Les déchets sont désormais transportés par deux wagons reconditionnés jusqu’au centre de traitement de Libreville.
Pour conclure, nous voulons être un partenaire fiable au service du bien-être des communautés au travers d’un dialogue transparent et créer un impact positif et durable en contribuant positivement au développement social, économique dans le respect de la préservation de la biodiversité et de l’environnement.