ARTF : l’un des poumons économiques du pays

Joseph Paul Ibouili Maganga Secrétaire exécutif de l'ARTF

Depuis 2001, Joseph Paul Ibouili Maganga a occupé successivement des postes dans la haute administration au Gabon : entré au commissariat général au Plan et au Développement en 2001, il a tour à tour occupé les postes de chargé d’études, puis de directeur de la planification générale. Ensuite, il a été nommé conseiller du ministre de l’Économie chargé des politiques sectorielles et de l’évaluation en 2014. Entre 2016 et 2019, il est directeur général de la prospective au ministère de l’Économie et des Finances. Ces différents postes l’ont amené à collaborer avec de hautes institutions telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le PNUD, l’Unicef, le FNUAP etc., et lui ont permis de développer une solide expérience dans les domaines de compétences tels que la prospective, la planification, la programmation, le montage des projets, le suivi et l’évaluation des politiques publiques. Un tel parcours rassure les opérateurs quant au professionnalisme de l’homme désigné pour mener à bien le suivi des engagements et la régulation de la concession du Transgabonais.

Créée en 2010, l’ARTF est une autorité administrative indépendante de l’État chargée de réguler l’ensemble du dispositif du réseau ferroviaire. À cet effet, elle assure des missions de conseil, de contrôle et d’arbitrage relatives aux infrastructures du rail.  L’Autorité de régulation des transports ferroviaires – ARTF – est l’un des vecteurs du désenclavement du Gabon. À ce titre, elle intègre le pivot économique fondé sur la cadence des programmes du transport ferroviaire. Depuis le centre du pays, le Transgabonais transporte les matières premières, en tête desquelles les produits miniers qui, à eux seuls, représentent plus de 47 % du PIB auxquels s’ajoutent le fret de marchandises telles que le sucre, l’huile et autres produits de première nécessité, le transport des grumes, celui des hydrocarbures et des populations. 

Dans le cadre de la restauration des institutions et des grandes missions de l’État dans lequel le Gabon s’est engagé sous la houlette du CTRI, les autorités portent un intérêt particulier à l’état et au développement du chemin de fer. L’objectif est double. D’abord, à court et moyen terme, de poursuivre le renforcement de la voie actuelle en traitant les zones instables, en remplaçant les traverses en bois par des traverses en béton bibloc et en remplaçant les rails actuels par d’autres à plus grande résistance pour faire face au développement croissant des tonnages transportés. Ensuite, à moyen et long terme, d’approfondir et finaliser les études de faisabilité, aussi bien technique que financière, nécessaires au développement d’une seconde ligne de chemin de fer. L’ARTF est dirigée par son secrétaire exécutif Joseph Paul Ibouili Maganga, en poste depuis quelques mois. Il a accepté de répondre à nos questions.

EE : M. Ibouili Maganga, vous avez pris vos fonctions depuis un moment, en qualité de secrétaire exécutif de l’ARTF, organisme de l’État sous tutelle technique du ministère des Transports, de la Marine marchande et de la Mer. Quel bilan dressez-vous ?

Ma mission est de ramener l’ARTF à un fonctionnement plus conventionnel. Aussi, depuis mon arrivée à la tête du secrétariat exécutif, il y a maintenant deux mois, en tout premier lieu, j’ai commencé par observer les aspects organisationnels, les relations avec les opérateurs du secteur ferroviaire, l’état de la voie. Ce premier constat m’a amené à examiner le cadre organique et le modèle économique de l’institution. Une proposition d’organigramme renforçant et spécialisant les services techniques sera soumise au prochain conseil de régulation prévu cette fin d’année. De même, la soutenabilité du modèle économique a été analysée. Dans un proche avenir, pour le développement de notre stratégie, nous devrons déployer nos effectifs pour occuper des postes à l’intérieur du pays. Dans cette perspective, nous avons déjà une antenne de l’ARTF à Franceville qui couvre la zone jusqu’à Booué et nécessite que des experts l’animent. À Booué, nous avons l’intention d’ouvrir une antenne au sein de laquelle opéreront une dizaine de techniciens du rail avec pour mission de scruter la voie et remonter l’information jusqu’aux services de la direction technique et exploitation ferroviaire – DTEF – pour alerter et conseiller. Par ailleurs, je souhaite souligner qu’au sein de l’ARTF, nous collaborons avec des juristes parmi les plus aguerris en matière de droit ferroviaire, notamment juridique. Leur rôle est d’examiner la convention de concession sur le plan économique, dans sa formulation juridique et fiscale. Cette analyse de la lecture de ces textes est indispensable pour renforcer, recadrer, repositionner l’ensemble des composantes de l’ARTF afin d’obtenir une capacité de réponse. En attendant les résultats concrets, nous menons des missions statutaires sur la ligne de chemin de fer qui ont pour objectif de constater l’état des infrastructures afin d’alerter le Gouvernement et de transmettre des recommandations à la Setrag afin de susciter des discussions à l’issue desquelles un diagnostic sera affirmé et des actions menées pour pallier ces problèmes.

Quelle est la définition du rôle de l’ARTF par rapport à la Setrag ? Quels sont les enjeux pour l’Autorité de régulation des transports ferroviaires dans le contexte économique et institutionnel actuel ? Qui sont les opérateurs qui gèrent le Transgabonais ? La charge de l’exploitation de la voie ferrée incombe à la Setrag. Pour être très clairs, quelles sont les obligations respectives de l’ARTF et de la Setrag ? 

La Société d’exploitation du Transgabonais – Setrag – est le concessionnaire chargé de la gestion et de l’exploitation du chemin de fer. Elle est le gestionnaire de l’infrastructure. Elle entretient et organise la répartition des sillons. À titre exclusif, la Setrag a toute la gestion et l’exploitation de l’activité ferroviaire à savoir : l’exploitation technique et commerciale des services de transports ferroviaires de marchandises et voyageurs   ; la maintenance, le renouvellement, y compris la remise à niveau et l’aménagement des infrastructures ferroviaires de la ligne du chemin de fer concédé   ; la gestion domaniale courante du domaine ferroviaire mis à la disposition du concessionnaire par l’État.

La cohabitation sur un même réseau de plusieurs opérateurs (Comilog, OMP, Citic Dameng,) impose la présence d’un régulateur du secteur afin de garantir à tous un accès et une tarification équitables. Dans le titre 9 de la convention de concession pour la gestion et l’exploitation du chemin de fer Transgabonais signée en 2005, il est prévu l’existence d’une autorité pour réguler le transport ferroviaire. Nous, l’ARTF, nous travaillons en binôme avec la Setrag et sommes chargés de la régulation qui passe par le conseil, le contrôle et l’arbitrage. En quelques mots, l’ARTF peut être assimilée au gendarme du ferroviaire. Nos actions passent par le contrôle quotidien du pesage, des immatriculations des trains et wagons, des autorisations et des licences, des modules de formation des agents conducteur des trains, de la conformité de tous documents dans ce secteur, des coûts tarifaires, de l’application des normes notamment de sécurité suivant le règlement général de sécurité, etc.

En perspective de l’évolution du corpus réglementaire, le Gouvernement s’est attelé à mettre en place une loi d’orientation pour consacrer l’ensemble des dispositifs relatifs aux politiques sectorielles en matière de transport en République gabonaise à travers la loi n° 35/2018 du 8 février 2019 portant orientation des transports terrestres, dans le but de redéfinir les conditions d’exploitation du réseau national de chemin de fer ainsi que d’autres conditions d’accès au réseau. Ce texte a été modifié et complété par la loi n° 032/2023 du 8 août 2023 qui permettra de renforcer le rôle de l’ARTF dans ses attributions et les obligations prévues.

Quelles sont vos priorités à court, moyen et long terme ?

Dans l’immédiat, nous travaillons avec mes équipes sur des questions de sécurité ferroviaire pour répondre aux problèmes, notamment ceux relatifs aux quatre déraillements successifs qui ont précipité nos actions sur la voie. Nous nous sommes rendus sur place avec les responsables de la Setrag, concessionnaire du Transgabonais, pour évaluer la situation, déterminer les causes et adopter les meilleures solutions afin de répondre le plus rapidement et le plus efficacement à cette problématique.

La priorité au sein de l’ARTF est d’obtenir une capacité d’autonomisation. Notre charge, la veille, le contrôle sur la convention de la concession nécessitent que nous nous équipions d’instruments de mesure pour vérifier la qualité et la stabilité de la voie, nous avons besoin de ponts bascules supplémentaires.

L’ARTF collabore avec l’UIC (Union internationale des chemins de fer). Échangez-vous sur ce genre de sujets ? 

Comme vous l’avez stipulé en début de propos, j’ai pris mes fonctions depuis peu de temps. Je n’ai pas encore eu l’occasion de prendre contact, mais il est évident que nous le ferons à court terme, notamment à l’occasion de la réunion programmée en ce mois de décembre. Avec de tels organismes qui sont de réelles sources d’expérience, nous pouvons nous projeter, avoir une vision, une perspective de développement du ferroviaire à l’échelle mondiale. Lors de cette rencontre, nous tisserons des relations pour arrimer notre chemin de fer au modèle et aux normes mondiales.

 Les ressources minières du Gabon sont exponentielles. Le fer en est un exemple précis et la production de manganèse est en augmentation constante. Les perspectives d’exploitation sont multiples : forestière, hydrocarbures, etc. Comment envisagez-vous transporter ces matériaux alors que le Transgabonais est déjà au maximum de ses capacités ? Des investisseurs sont-ils susceptibles d’être intéressés par la construction d’une double voie ?

Il faut se souvenir que l’équipement dont nous disposons aujourd’hui était initialement prévu pour répondre aux besoins du transport des voyageurs et des produits forestiers. Dès cette époque, les opérateurs miniers se sont multipliés et ont considérablement densifié leur production respective. Leurs capacités à produire en font les pourvoyeurs des richesses du pays, par voie de conséquence, ils ont des besoins d’affrètement jusqu’au port d’Owendo et utilisent le Transgabonais. Outre les opérateurs miniers, il faut considérer les forestiers et tous les afflux de marchandises comme le sucre, l’huile, etc. sans oublier les passagers. Dans un premier temps, nous consolidons la voie en remplaçant les traverses en bois par des traverses en béton bibloc et les rails par des rails beaucoup plus résistants (passage du rail U 50 à U 60), capables de supporter un poids important. 
Une grande partie de ces travaux est réalisée : remplacement de 287 km sur 650 km en traverses bibloc ; réalisation de 10 km de voies de contournement ; pose de rails U60 prioritairement sur les zones d’urgence, soit 11 km Owendo-Essassa et 29 km Ndjolé-Otoumbi.

Cela dit, nous étudions un certain nombre de variantes pour répondre à la demande croissante. L’une d’elles a particulièrement retenu l’attention. Il s’agit de développer une voie complémentaire à la voie existante, en la doublant parfois. Une alternative est aussi à l’étude : créer une voie jusqu’à Port-Gentil. La profondeur du port permet d’accueillir des bateaux qui ne peuvent accoster à Libreville. Donc, en parallèle, la création d’un port minéralier à Port-Gentil constitue également l’une des perspectives.

Quels sont les plans de financement pour de telles réalisations ? 

En cette fin d’année 2023, nous sollicitons une réflexion globale avec les opérateurs concernés pour adapter la capacité de transport à la capacité de production. Cette dimension conjoncturelle intègrera aussi les études d’impact environnemental chères à notre pays, notre positionnement en témoigne. Ces éléments nous permettront de préparer des plans de réalisation, de les évaluer et de trouver les financements auprès de bailleurs de fonds tels que l’AFD, qui est notre partenaire, et nous tourner vers la Banque africaine de développement qui est particulièrement concernée par ces sujets, vers la SFI qui est une annexe de la Banque mondiale avec qui travaille la Setrag. Si tous ces paramètres sont réunis, nous sommes en mesure d’ambitionner être opérationnels avant 2030.

Cette ligne de chemin de fer unique qui traverse le Gabon est multimodale. Comment la cohabitation de plusieurs opérateurs ferroviaires sur un même réseau s’articule-t-elle afin de garantir à tous un accès équitable ? Quelles méthodes employez-vous pour répondre favorablement aux besoins de chacun d’entre eux ?

Les autres acteurs de la voie Comilog, Citic Dameng, Gabon Nouvelle Mining sont essentiellement des miniers. Rappelons que tous leurs transports sont gérés par la Setrag, dont le défi est de restaurer la capacité de la voie afin d’augmenter la capacité des sillons et la capacité de transport compte tenu du programme d’augmentation des capacités de transport (PACT). Dans ce contexte, l’ARTF veille à la répartition équitable des sillons pour chaque opérateur dans le cadre des missions d’arbitrage du régulateur. Comme toute structure, l’ARTF est engagée dans une dynamique opérationnelle de restructuration et de restauration des instruments administratifs, financiers et réglementaires, y compris pour permettre la prise en compte des conditions améliorées du voyageur. Le défi est également hautement sécuritaire à travers la mise en exécution des normes règlementaires qui tiennent compte du régime des sanctions et du régime gabonais de sécurité ferroviaire.

À l’issue de la dernière assemblée générale, le Président de l’UIC a développé ses propos en commençant par le préambule reproduit ci-dessous. Nous nous permettons de l’utiliser pour conclure cette interview.

 Nous travaillons à une Afrique dotée, à l’horizon 2040, d’un système de transport ferroviaire, fiable, viable, efficace et abordable, respectueux de l’environnement, capable de promouvoir, en complémentarité avec les autres modes de transport, le développement socio-économique et l’intégration régionale tout en contribuant à un meilleur positionnement du continent au niveau mondial. Nul doute que le développement de notre continent demeure intimement lié à l’éclosion d’infrastructures de transport de qualité à même de répondre aux aspirations de nos pays et aux besoins croissants en matière d’éco mobilité.  

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