FORUM GABON–FRANCE : CE QUE LA FEG ATTEND DES ENTREPRISES FRANÇAISES ET COMMENT LE MEDEF Y RÉPOND
Alors que 63 entreprises françaises ont fait le déplacement à Libreville sous la bannière du Medef International, le patronat gabonais a saisi ce moment pour redéfinir clairement les termes et les contours d’une coopération économique qu’il veut désormais plus cohérente, plus productive et surtout plus équilibrée. Dans un discours offensif et méthodique, le président de la Fédération des entreprises du Gabon (FEG), Alain-Claude Kouakoua, a fixé une feuille de route précise : transformer localement, investir conjointement, transmettre les compétences, intégrer les entreprises gabonaises dans les chaînes de valeur, partager la gouvernance et produire une véritable richesse nationale. Un message direct qui trouve en partie un écho dans le discours récent du président du Medef, Patrick Martin, représenté à Libreville par Philippe Labonne, président du comité Afrique du Medef, dont la vision de la réindustrialisation pourrait s’accorder avec les ambitions de Libreville.
Dès l’ouverture, Alain Claude Kouakoua a planté le décor : le Gabon ne veut plus être un simple réceptacle de projets importés ni un marché d’écoulement pour technologies et services conçus ailleurs. Le temps des solutions « clés en main » ne laissant aux entreprises locales que le rôle d’exécutantes périphériques se veut terminé. Le pays veut désormais « faire avec » et non plus « faire faire ». Cette exigence s’inscrit dans une transformation structurelle assumée : produire localement le bois, le manganèse, l’acier, les produits alimentaires et les matériaux de construction afin de créer de la valeur industrielle sur le territoire plutôt que de l’exporter brute. Cette orientation, largement soutenue par le gouvernement, devient aujourd’hui le cœur de la doctrine patronale gabonaise.
La FEG demande ainsi aux entreprises françaises de s’inscrire dans un modèle radicalement nouveau : ouvrir des unités de transformation au Gabon, former des techniciens et ingénieurs gabonais, partager la gouvernance de projets sensibles et co-investir dans des secteurs stratégiques. Le patronat local veut également que les grandes entreprises françaises contribuent à structurer un écosystème industriel : PME locales, prestataires nationaux, bureaux d’études gabonais et centres de formation doivent faire partie intégrante de tout projet. Pour le président de la FEG, la question n’est plus de savoir « quels services nous apportez-vous, mais quelle industrie construisez-vous avec nous ? ». Cette volonté de rupture arrive au moment où le Gabon accélère plusieurs grands chantiers, entre réhabilitation du Transgabonais, développement de zones industrielles, montée en capacité dans la transformation minière, expansion de la filière bois et consolidation de l’agro-industrie. Les besoins sont immenses, les opportunités structurelles, mais les projets ne réussiront que si les entreprises françaises jouent le jeu d’un partenariat productif, transparent et durable.
Dans ce contexte, les déclarations du président du Medef, réunies dans un document paru ce 27 novembre et intitulé « L’industrie française : la Belle au bois dormant ? », apparaissent presque comme un miroir inattendu des attentes gabonaises. Patrick Martin, dans un message adressé au tissu économique français, affirme : « Réindustrialiser ou s’effacer ». Ce mot d’ordre, pensé pour la France, trouve une pertinence étonnante au Gabon. Pour P. Martin, la souveraineté industrielle repose sur la production, la compétence et l’investissement structurel : trois piliers que la FEG place précisément au cœur de sa stratégie. Lorsqu’il rappelle que l’industrialisation ne se décrète pas, mais se construit, il reprend mot pour mot une intuition gabonaise : la transformation locale n’est pas une option, mais une nécessité stratégique.
Le président souligne également l’un des points les plus sensibles pour le Gabon : le déficit de compétences. Tout comme la France manque d’ingénieurs et de techniciens spécialisés, le Gabon souffre d’une pénurie de profils capables de soutenir une industrialisation massive. C’est pour combler ce déficit que la FEG exige des programmes de transfert, des écoles de métiers, des partenariats avec les universités et des formations certifiantes intégrées aux projets industriels. Sur ce sujet, les priorités des deux patronats convergent naturellement.
La visite d’État d’Emmanuel Macron à Libreville a mis en lumière un panel d’entreprises françaises dont les expertises rejoignent les priorités structurelles du Gabon. Une dizaine d’entre elles se distinguent par leur capacité à accompagner les chantiers d’industrialisation, de transformation locale et de modernisation des infrastructures, avec en tête, Meridiam, spécialiste mondial des infrastructures durables, dont le savoir-faire en montage financier et en partenariats public-privé correspond aux ambitions du pays en matière d’énergie, d’ouvrages structurants et de services publics modernes. Dans le même registre, Sogea-Satom (groupe Vinci) demeure l’un des acteurs du BTP les plus solides en Afrique centrale, capable de conduire des projets d’envergure, routes, réseaux urbains, ouvrages hydrauliques, indispensables à la compétitivité logistique.
La transformation industrielle repose aussi sur des acteurs technologiques tels que Safran, engagé sur l’aéronautique, la sécurité et les systèmes industriels avancés, et Airbus Defence & Space, dont les solutions satellitaires et de surveillance peuvent soutenir la sécurisation des corridors logistiques et forestiers. Sur le terrain de l’eau et de l’assainissement, deux entreprises jouent un rôle clé : Suez International pour la modernisation des réseaux urbains et Vergnet Hydro pour les systèmes d’adduction et les micro-infrastructures hydrauliques adaptées aux zones rurales et industrielles.
Pour la transformation locale des matières premières, Saint-Gobain PAM offre une expertise essentielle dans la canalisation industrielle tandis que Baudin Chateauneuf apporte des compétences pointues dans les structures métalliques et les ouvrages complexes utiles pour les nouvelles usines de transformation et les ponts logistiques. Enfin, JCDecaux propose des solutions modernes d’aménagement, de gestion de l’espace public et de mobilier intelligent, essentielles à la montée en gamme des villes gabonaises.
Ces dix entreprises représentent un socle opérationnel capable de répondre à l’ambition gabonaise : passer d’une économie extractive à une économie de transformation fondée sur des infrastructures fiables, des technologies avancées et des partenariats industriels durables. Toutes disposent de solutions adaptées aux ambitions du Gabon. S’inscriront-elles dans le nouveau cadre d’exigence posé par la FEG ? À Libreville, le sentiment dominant est celui d’un tournant. Le Gabon a clarifié ses attentes. Le Medef affirme être prêt à contribuer à une dynamique industrielle. Les deux organisations patronales parlent désormais un langage commun : souveraineté, production, compétence, efficacité. La balle est maintenant dans le camp des projets. Pour la FEG, une seule évaluation comptera : la capacité des entreprises françaises à activer de véritables chaînes de valeur locales, à investir durablement et à participer à la construction de l’économie productive que le Gabon appelle de ses vœux.
Le Gabon a fixé un cadre d’investissement de 2 119,2 mds de F CFA pour accélérer sa transformation économique. Cette trajectoire, qui vise la modernisation des infrastructures, la transformation locale des ressources et la diversification productive, s’appuie déjà sur plusieurs projets où les partenaires français jouent un rôle actif.
Dans le secteur des transports, la réhabilitation du chemin de fer Transgabonais, axe vital pour le manganèse, le bois et les flux logistiques, implique directement des entreprises françaises engagées à travers des solutions d’ingénierie, de financement et d’assistance technique. Ce corridor fait partie des chantiers prioritaires du plan national et figure dans les discussions récurrentes entre Medef International et les autorités gabonaises.
En parallèle, la France accompagne le Gabon dans l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement. Suez International a déjà engagé des travaux de diagnostic et de modernisation sur plusieurs réseaux urbains tandis que Vergnet Hydro intervient sur des installations d’eau potable dans les zones périphériques. Ces projets améliorent directement les conditions de vie et préparent l’implantation de nouvelles zones industrielles.
La transition énergétique constitue un autre pilier. Le Gabon a lancé, avec des partenaires français, des projets de centrales hybrides et d’équipements solaires pour réduire la dépendance au thermique. Des entreprises présentes dans la délégation, notamment Vergnet, Sagemcom et plusieurs PME spécialisées, ont déjà positionné des offres pour des mini-réseaux photovoltaïques destinés aux sites isolés et aux petites industries.
Dans le secteur minier, plusieurs groupes français accompagnent la montée en gamme de la filière manganèse, avec un accent nouveau sur la transformation locale. Des discussions avancées concernent la mise en place d’unités de calcination ou de prétransformation, appuyées par des expertises techniques françaises et des mécanismes de financement structurés via l’AFD et des fonds privés comme Meridiam.
Enfin, la modernisation de l’État et du cadre institutionnel bénéficie également d’un appui français : solutions numériques, systèmes de paiement, programmes de formation, conseils en gouvernance et renforcement des capacités. La France, par le biais de ses entreprises et de ses instruments financiers, se positionne comme partenaire d’exécution, ce qui devrait accélérer la concrétisation des 2 119,2 mds de F CFA prévus pour les prochaines années.

