LES INVESTISSEURS AFRICAINS EN QUÊTE DU TRÉSOR DES FONDS SOUVERAINS
Réuni au sommet de l’Avca à Johannesburg, le secteur africain de l’investissement appelle à un sursaut des bailleurs institutionnels continentaux dans un contexte de raréfaction des capitaux internationaux.
« Les investisseurs institutionnels africains restent assis sur 2,5 trilliards de dollars, c’est conséquent », interpelle d’emblée Vincent le Guennou, DG de l’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund. Sur la scène du Sandton Convention Center de Johannesburg qui accueille la vingtième édition de la conférence de l’African Private Capital Association (Avca), et face à ses homologues du continent entier, ce pionnier du secteur réitère un souhait partagé avec l’ensemble de l’assemblée : il faut « débloquer » cette manne financière dormante pour aider au financement des fonds d’investissement en Afrique. La requête se fait d’autant plus pressante que tous les acteurs réunis, leaders (Development Partners International, Helios, African Infrastructure Investment Managers, African Capital Allicance, Mediterrania Capital Partners, Amethis, etc.) comme plus modestes (Cardinal Stone, Uhuru, Joliba, Adiwale) naviguent en eaux troubles depuis plusieurs années. Pour 2023, les données de l’Avca révèlent une contraction des levées de fonds en capitaux privés pour la seconde année consécutive (-9 %, à 1,9 md de dollars) et un important recul du nombre de deals (-28 %), avec seulement 450 transactions bouclées sur la période.
Or, les levées de fonds d’aujourd’hui participent à la croissance des entreprises africaines de demain, rappellent en filigrane les intervenants. Ce constat motive les gestionnaires à multiplier les appels du pied envers les acteurs locaux pour limiter la dépendance aux fonds externes, par essence plus volatils. Dernièrement, les acteurs américains étaient largement surreprésentés dans l’industrie africaine du capital risque.
Or, le repli outre-Atlantique a entraîné un net coup de frein en 2023 : les start-ups africaines n’ont mobilisé que 2,3 mds de dollars (2,15 mds d’euros), soit un effondrement de 54 % en seulement douze mois. Pour le secteur du capital-investissement, le soutien de grands noms internationaux reste un passage obligé dans la structuration d’un fonds. Pour les patrons des firmes, il devient donc indispensable de diversifier les ressources et d’amener les institutionnels locaux autour de la table.
Des fonds souverains de plus en plus nombreux, mais encore réticents
Les premiers ciblés sont les fonds souverains africains qui représentent des réserves de cash sans pareilles. À titre d’exemple, l’Ethiopian Investment Holdings (EIH) a été lancé en 2022 avec 45 mds de dollars d’actifs appartenant à l’État. Ces structures étatiques sont d’autant plus courtisées qu’elles se multiplient. Le continent en compte désormais 25 qui cherchent à se structurer, notamment avec la mise en place d’un Forum africain des investisseurs souverains (Asif) emmené par le Maroc.
En dépit de la montée en puissance de cette catégorie d’investisseurs, les retombées se font attendre du côté du capital-investissement. « Les fonds souverains se montrent encore réticents à s’engager dans nos véhicules », regrette Tokunboh Ishmael, à la tête d’Alitheia Capital, une firme nigériane dédiée à l’entrepreneuriat féminin. Pour autant, les sociétés en commandite n’entendent pas se résigner et poursuivent leur opération séduction auprès de ces entités. « Il faut améliorer notre plaidoyer. Apprendre à satisfaire leurs conditions et développer l’investissement à long terme pour coller à leur rythme », milite l’investisseuse.
En effet, dans ces deux écosystèmes relativement récents – l’industrie du capital-investissement a deux décennies, quand le premier fonds souverain du continent a été initié en 1994 au Botswana –, la convergence des points de vue ne se fait pas naturellement. « Nous parlons avec quatre fonds souverains pour expliquer notre démarche et l’intérêt d’investir avec nous », fait valoir Wale Adeosun, fondateur et managing partner de Kuramo Capital Management. Sa firme, située entre New York, Nairobi et Lagos, cherche à lever 150 millions de dollars pour son dernier fonds. Et le responsable, qui gérait plus d’un milliard de dollars pour le compte d’une université américaine avant de se lancer en solo, conserve intacte son ambition de prioriser les investisseurs locaux.
Bien que chronophage, la démarche peut parfois s’avérer payante. Après trois ans de tractations auprès de nombreux acteurs continentaux, l’Infrastructure Acceleration Fund, lié à la plateforme panafricaine Africa50, a ainsi conclu sa première transaction en janvier dernier, à 225 millions de dollars sur les 500 millions finaux. Mais surtout, Vincent Le Guennou, ancien d’Emerging Capital Partners (ECP), a réussi le tour de force d’embarquer 16 investisseurs régionaux sur les 17 de cette première fournée, dont le Nigeria Sovereign Investment Authority, l’un des plus actifs du continent.
De quoi nourrir les espoirs de ses homologues rassemblés à Johannesburg qui s’interrogent sur l’avenir de l’industrie en Afrique. Le continent doit abriter un quart de la population mondiale à l’horizon 2050, mais sa part dans l’industrie mondiale du capital-investissement dépasse encore difficilement les 2 %. Face à ce déséquilibre, les firmes appellent au sursaut. Un sursaut qui sera local… ou ne sera pas.
Source : Jeune Afrique