TECH : SELON GSMA, L’ILLECTRONISME AFFECTE ENCORE 60 % DES AFRICAINS

Connectivité, réglementation, usages… Max Cuvellier Giacomelli, responsable Mobile for Development de GSMA, l’alliance mondiale qui représente les intérêts des principaux opérateurs télécoms, revient sur les priorités du secteur.

Début 2023, avec les retraits d’acteurs comme Tiger Global ou Sequoia Capital, les levées de fonds des startups africaines ont chuté d’environ 50 %. Quelle est aujourd’hui la tendance du venture capital (VC) sur le continent ?

Au niveau global, le ralentissement des investissements de venture capital a débuté en 2022. L’Afrique a été touchée durant l’été. Nous observons quelques signes encourageants de reprise, mais nous sommes loin des investissements records enregistrés en 2021. Après un certain nombre de survalorisations observées un peu partout dans le monde, les startups ont enregistré une décote de l’ordre de 50 % et les mégadeals, au-dessus de 100 millions de dollars, ont nettement ralenti.

Le montant du venture capital s’élevait à 5,2 mds de dollars en Afrique l’an dernier selon le rapport de Partech. Que représente le continent dans l’écosystème numérique mondial ?

L’Afrique représente encore un volume assez faible des fonds investis dans la tech au niveau mondial. La fintech africaine est le secteur qui attire le plus de fonds, même si le montant total investi a un peu diminué. La fintech africaine reste dominée par le Nigéria (798 millions de dollars, NLDR) suivi par l’Afrique du Sud (388 millions de dollars, NDLR) et par l’Égypte (262 millions de dollars, NDLR). Le Ghana, le Kenya et le Sénégal suivent avec respectivement 15 millions de dollars, 95 millions de dollars et 94 millions de dollars. Ces six pays représentent 91% du montant levé par les fintechs en Afrique en 2022. À ce jour, l’Afrique concentre seulement 1% des fonds levés par les startups au niveau mondial, dont environ 50 % sont orientés vers les fintechs.

De quelle façon renforcer la connectivité en Afrique où les deux tiers des Subsahariens n’ont pas accès à Internet, selon une étude de la Banque mondiale datée de 2020 ?

À ce jour, selon nos estimations, 60   des Africains n’utilisent pas l’Internet mobile, . Sur ce pourcentage, les trois quarts sont couverts par la 3G, la 4G ou la 5G. In fine, 15 % de personnes, soit 200 millions d’Africains, n’ont aucun accès à Internet (sur 400 millions de personnes dans le monde, NDLR). Il faut mobiliser davantage de financements pour couvrir les zones non couvertes, en particulier dans les environnements ruraux et forestiers. Un certain nombre d’acteurs travaillent sur des procédés qui pourraient réduire le coût de construction des tours de réseaux mobiles, pour créer un modèle économique viable.

Quels sont les principaux freins économiques et sociaux qui entravent la connectivité en Afrique ?

Il existe plusieurs éléments de réponse comme le risque lié à la cybercriminalité, par exemple. Cependant, c’est surtout le coût du terminal et l’illettrisme digital qui restent les principaux freins à la pénétration d’internet dans les foyers africains. Le coût d’un smartphone en Afrique représente près de 25 % du revenu mensuel d’un ménage. Au Kenya, Safaricom a récemment lancé une offre nommée Lipa Mdogo Mdogo qui permet aux clients d’acheter un smartphone via de modestes versements quotidiens. GSMA s’est engagé dans la lutte contre l’illettrisme numérique et propose une boîte à outil de formations gratuites aux compétences internet mobile, disponible en 17 langues sur des supports écrits, audiovisuels et vidéo. Il existe de nombreux acteurs engagés contre «  l’illectronisme  » à l’instar du groupe MTN qui conduit un programme destiné à plusieurs millions de personnes, depuis deux ans.

Selon la Banque africaine de développement (BAD), il faudrait 7 milliards de dollars pour combler le déficit en financement des TIC en Afrique. L’opérationnalisation de la Zlecaf peut-elle favoriser la mutualisation des projets numériques au niveau régional ?

Le développement des infrastructures télécoms en Afrique est une priorité qui coûte cher, mais qui peut rapporter gros en termes d’impact socio-économique. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), 10 % du taux de pénétration de large bande mobile en Afrique entraîneraient une augmentation de 2,5 % du PIB par habitant. De fait, il existe une dynamique de mutualisation des ressources. Néanmoins, les réseaux transnationaux se heurtent aux questions régulatoires, car chaque opérateur dispose d’autorisations qui sont spécifiques au pays dans lequel il est implanté. Les opérateurs de téléphonie mobile sont également devenus des opérateurs de mobile money, il faut donc harmoniser les régulations sur les questions financières.

Fin 2020, l’Afrique comptait 1,3 % des data centers mondiaux, selon l’association africaine des data centers (ADCA). À l’heure de l’augmentation des menaces cybercriminelles et de la vulgarisation de l’IA, comment les pays africains sécurisent-ils leurs data ?

Plusieurs initiatives se développent, en Afrique du Sud notamment, qui abrite déjà près de la moitié des data centers du continent (soit une cinquantaine, NDLR). Au Sénégal, en juin 2021, Diamniadio, dans la banlieue de Dakar, accueillait un nouveau data center d’État. Les opérateurs sont de plus en plus vigilants en termes de protection des data, d’autant que les cadres légaux se durcissent. Toutefois, il existe un grand écart entre les opérateurs mobiles et les acteurs internationaux qui ne s’enregistrent pas toujours localement et ne sont donc pas soumis aux mêmes règles…

Selon le Worldwide Mobile Data Pricing, le prix moyen du gigaoctet en Afrique subsaharienne, avec d’importantes disparités, s’élevait à 6,44 dollars en 2021, contre une moyenne mondiale de 2,61 dollars. Comment réduire le prix de la data pour l’opérateur final ?

Tant que plus de la moitié de la population couverte n’utilisera pas Internet, le prix de la data ne pourra pas baisser. Il existe aussi des écarts de consommation. Il reste beaucoup à faire pour développer les usages des utilisateurs modestes et des primo-accédants. Aujourd’hui chez Airtel, 80 % de leur trafic de data se réalise sur le réseau 4G, mais seulement 20 % des terminaux actifs sur leur réseau sont compatibles avec la 4G…

Du 17 au 19 octobre, Kigali accueillera le WMC Africa. Quel sera le programme de cette édition ?

La GSMA représente les intérêts de plus de 750 opérateurs de téléphonie mobile de 220 pays et compte aussi 400 membres associés, dont les équipementiers par exemple. Nous organisons chaque année des rencontres (MWC, NDLR) à Las Vegas, Shanghai, Barcelone et Kigali. Cette année, Kigali accueillera la 2e édition du MWC Africa que nous souhaitons imposer comme l’événement principal de la connectivité en Afrique. Nous réunirons tout l’écosystème des télécoms. Nous attendons notamment Ralph Mupita, président du groupe MTN, Jérôme Hénique, le directeur général, CEO d’Orange Afrique et Moyen-Orient, Doreen Bogdan-Martin, la secrétaire générale de l’Union internationale des télécommunications, Lacina Koné, le directeur général de l’Alliance Smart Africa ou encore Paula Ingabire, la ministre de l’Information et des Communications, de la Technologie et de l’Innovation du Rwanda. Nous aborderons des thématiques liées à la connectivité, aux startups, à l’IA et au développement des usages. Nous consacrerons également un forum à l’healthtech qui mettra tout cet écosystème en lumière : de l’innovation à la législation en e-santé.

Source : La Tribune, Marie-France Réveillard

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