POURQUOI LE BASSIN DU CONGO PEINE A INTERDIRE L’EXPORTATION DE GRUMES
Dans certains pays forestiers de la région, la filière bois se résume à l’exportation de grumes. Dans les autres pays, les capacités de transformation se limitent dans la plupart des cas à la transformation primaire, notamment à travers le sciage, le déroulage et le débitage pour la production de placages et de contre-plaqués.
Malgré leur ferme volonté affichée depuis de longues années, les pays du bassin du Congo n’arrivent pas encore à interdire l’exportation de bois sous forme de grumes, en raison de plusieurs facteurs : l’importance de la filière en tant que source de recettes fiscales, les spécificités de la demande émanant de certains pays asiatiques et le manque de capacités industrielles locales, souligne un rapport publié le 28 mai 2024 par Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « Interdiction d’exportation de grumes dans le bassin du Congo : la longue marche », le rapport rappelle que le conseil des ministres chargé des pays forestiers de la Cemac avait annoncé, le 23 février dernier, le report à 2028 de l’interdiction d’exportation de bois sous forme de grumes dans tous les pays du bassin du Congo, en l’occurrence la RDC, le Gabon, le Congo, le Cameroun, la République centrafricaine et la Guinée équatoriale. Il s’agit du troisième report du délai de mise en œuvre de cette mesure après celui de janvier 2022 à janvier 2023 et celui de 2020 à 2022.
Initialement prise en septembre 2020 par le bloc économique, la décision de l’interdiction des exportations de bois en grumes vise à augmenter la valeur ajoutée créée par la filière bois et à contribuer à la stimulation des revenus des pays producteurs en soutenant la chaîne de valeur du bois, aussi bien à l’échelle nationale que continentale.
Alors que le bassin du Congo abrite près de 26 % des forêts tropicales humides restantes sur la planète, soit la deuxième plus grande surface de forêts tropicales au monde après l’Amazonie, la transformation du bois reste encore embryonnaire en dépit de l’importance économique du secteur.
Des recettes fiscales considérables
Si dans certains pays de la zone, l’exploitation se résume à l’exportation de grumes de bois, les capacités de transformation, lorsqu’elles existent, se limitent dans la plupart des cas à la transformation primaire, notamment à travers le sciage, le déroulage et le débitage pour la production de placages et de contre-plaqués. La transformation secondaire ou tertiaire, notamment à travers la menuiserie et la fabrication de meubles et de planchers, reste extrêmement faible. Selon les données de l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT), la région compte pour environ 6 %, 9,7 % et 5,3 % des productions mondiales respectives de sciages, de placages et de grumes de bois tropicaux.
Le rapport indique dans ce cadre que le principal obstacle à la mise en œuvre de la mesure relative à l’interdiction de l’exportation de bois sous forme de grumes dans les pays du bassin du Congo réside d’abord dans le choc économique qu’une telle mesure pourrait engendrer. D’autant plus que la filière bois représente une importante source de recettes fiscales de la zone, qui concentre plus du tiers de la surface forestière du continent. Dans certains pays du Bassin, les rentrées fiscales d’origine forestière proviennent essentiellement de différentes taxes et prélèvements perçus sur les grumes. C’est notamment le cas de la République centrafricaine où l’État tire près du tiers de ses recettes fiscales de l’exportation des grumes.
Au Cameroun, où l’interdiction d’exportation des grumes plane depuis la fin des années 90, les autorités se sont finalement résolues à laisser poursuivre les ventes sur le marché mondial sous réserve du paiement d’une taxe à l’exportation. Selon les données de la Direction générale des douanes camerounaises, les droits et taxes de sortie (DTS) collectés en 2018 ont atteint 33 mds de F CFA, dont 27,7 mds proviennent des taxes prélevées sur les exportations de grumes.
Outre cet enjeu financier, des considérations ayant trait aux spécificités de la demande internationale expliquent aussi la difficile application de la décision relative à l’interdiction des exportations de grumes. Certains pays asiatiques, notamment la Chine, le Vietnam et l’Inde, ne souhaitent pas acheter le bois transformé de plusieurs essences forestières. Tel est, par exemple, le cas du tali sur le marché vietnamien.
Une politique de restriction plus nuancée
D’autre part, il est parfois plus intéressant d’un point de vue financier pour les opérateurs d’exporter certaines essences en bois brut grumes en raison de la faible efficacité des unités de transformation locales par rapport aux unités étrangères, qui se traduit par des prix de produits finis moins intéressants comparés aux grumes. Au Cameroun, le rendement matière (volume de bois brut nécessaire pour la fabrication d’une unité de produit transformé) du sciage de tali se limite à 40 % dans le meilleur des cas contre près de 90 % au Vietnam, en raison du manque de capacités industrielles. À cela s’ajoute le manque de compétences techniques lié essentiellement au faible nombre d’ingénieurs formés spécifiquement dans les procédés de transformation du bois.
Au regard de ces multiples difficultés, le rapport fait remarquer que plusieurs alternatives s’offrent aux pays du bassin du Congo en lieu et place d’une interdiction pure et simple des exportations de bois sous forme de grumes. L’une des solutions est le déploiement d’une politique de restriction beaucoup plus nuancée. Cette approche préconise un traitement au cas par cas pour tenir compte des essences forestières ou des bois de qualité qui sont nettement plus intéressants à exporter qu’à transformer localement en raison de prix à l’état brut plus élevés sur les marchés demandeurs, notamment en Asie, comparativement aux produits transformés. Dans un tel cas de figure, des analyses comparées des coûts-bénéfices liés à l’exportation de grumes ou à leur transformation pourraient servir d’outils d’aide à la décision.
Une autre alternative promue depuis quelques années consiste à instaurer un système de quota national de droits d’exportations de grumes qui seraient vendus aux enchères aux opérateurs économiques. Cela permettrait d’offrir une protection significative, mais pas excessive, aux industries locales qui sauront qu’elles peuvent disposer de suffisamment de matière brute à des prix raisonnables, tout en permettant aux États d’obtenir des revenus liés à la vente aux enchères des droits d’exportations.
Source : Ecofin