LE GABON SURFE SUR UNE DYNAMIQUE EXPONENTIELLE
Quatrième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, le Gabon a enregistré une croissance économique constante au cours de la décennie passée, portée notamment par la production de pétrole et de manganèse. En 2020, malgré les efforts engagés pour diversifier l’économie, le secteur pétrolier a représenté 38,5 % du PIB et 70,5 % des exportations. Ces efforts reposent sur le PAT, le plan d’accélération de la transformation. Les objectifs premiers de ce plan sont d’anticiper l’après pétrole, de valoriser les richesses du Gabon et de convertir les potentiels en valeur économique. Les secteurs clés sont multiples : agriculture, tourisme, industries extractives non exploitées, pour ne citer qu’eux. Nanti de tant de réserves, le Gabon attire les IDE (investisseurs directs étrangers). C’est aussi le rôle, entre autres, de Monsieur le ministre chargé de la Promotion, des PPP et de l’Amélioration de l’environnement des affaires de les accueillir. Inutile de préciser l’intérêt de ce registre pour les Échos de l’Éco. Nous remercions Monsieur Hugues Mbadinga de répondre explicitement à nos questions.
Selon le dernier recensement réalisé en 2021, le Gabon compte 2,3 millions d’habitants. Le pays se démarque avec un taux d’urbanisation des plus importants. En effet, quatre Gabonais sur cinq vivent en ville. Les deux agglomérations principales, Libreville et Port-Gentil, hébergent 59 % de la population. Concernant l’impact de la pandémie, les chiffres parlent d’eux-mêmes : au total, le produit intérieur brut a chuté de 15,07 mds d’euros, à 13,41 mds d’euros en 2020, soit une baisse importante de 11,05 % ; le taux de chômage est passé de 20,7 à 22 % ; le chômage touche particulièrement les jeunes en âge de travailler (38 %). La jeunesse gabonaise représente 65 % de la population ; le taux de scolarisation de base est de plus de 90 % ; le taux d’inflation est passé de 2,5 % auparavant à 1,2 % à la fin de l’année 2020.
EE : Monsieur le Ministre, cette très brève présentation résume l’importance de vos tâches. Avant de vous interpeler sur des sujets précis, quelle est votre analyse globale du climat des affaires, sachant que les indicateurs économiques sont en constante amélioration ?
Le climat des affaires se compose de quatre niveaux. Le premier concerne le cadre économique et budgétaire. Le Gabon a traversé successivement des crises importantes : 2014 avec la chute spectaculaire du prix du baril de pétrole et, plus proche, la pandémie de covid-19. En 2020, ces crises nous ont amenés au bord de la récession avec un résultat de -0,8 %. Puis nous sommes remontés à 1,5 % de taux de croissance en 2021. L’année 2022 révèle une progression allant jusqu’à 2,7 %. Nos prévisions pour 2023, validées par le FMI, s’établissent autour de 3,7 %. Ces résultats nous confirment que nous sommes sur la bonne voie. En effet, les équilibres macroéconomiques sont stabilisés, notamment la dette et le solde budgétaire de base prouvent une solidité des process engagés. Ces équilibres sont en eux-mêmes des facteurs de compétitivité.
Le deuxième niveau du climat des affaires est relatif à la stabilité politique et à la sécurité légendaire de notre pays. Ce critère est une des priorités des investisseurs. Ce sont aussi des facteurs essentiels pour les bailleurs de fonds qui observent et se fondent sur ces constantes pour accompagner les pays.
Le troisième niveau, nous le devons à l’incroyable diversité de la richesse naturelle du Gabon. La forêt qui couvre 88 % du territoire, les ressources halieutiques, avec nos presque 900 km de côtes, l’extraordinaire potentiel minier, le tourisme, plus précisément l’écotourisme, que nous développons assidûment. La politique menée par le Gouvernement a sécurisé des pans entiers de notre économie, a préservé un capital naturel. Ces actions de préservation de notre patrimoine nous permettent d’être considérés comme un bon gestionnaire de nos ressources aux yeux du monde extérieur.
Pour le quatrième niveau, je vous invite à vous référer aux nombreuses réformes et à l’application des codes sectoriels, minier, pétrolier, forestier, agricole ou relatif au secteur de l’énergie qui pendant une vingtaine d’années était géré en quasi-monopole. À ce niveau, nous avons introduit des données telles que celles des producteurs indépendants d’énergie qui permettent à la SEEG de collaborer avec des acteurs extérieurs. Nous nous donnons les moyens d’attirer des investisseurs extérieurs en créant des zones économiques spéciales. Elles sont des outils indiscutablement productifs et bénéfiques pour les investisseurs. Sur le plan des réformes, nous avons travaillé sur le Code du travail avec l’ANPI, organisme central sur lequel les investisseurs peuvent s’appuyer. Sur le plan minier, l’État se dote d’une brigade minière qui vise principalement à l’impérieuse nécessité de mener toute investigation ou enquête en la matière. Cela répond à l’ITIE qui est une norme internationale visant à améliorer la transparence dans la gestion des revenus tirés de l’extraction des ressources minières, gazières et pétrolières. Tous ces facteurs nous permettent de séduire des investisseurs de tous univers.
EE : Justement Monsieur le Ministre, vous recevez de nombreuses délégations accompagnées du corps diplomatique représenté au Gabon. Quel est le secteur qui concentre le plus d’attention ?
Tous se distinguent. Cependant, nous pouvons les séparer en deux blocs principaux. Les investisseurs asiatiques (la Chine et l’Inde) et européens (principalement français) prédominent et cela se traduit très clairement au niveau de la structure des échanges internationaux. La Chine est le 1er client du Gabon alors que l’Europe en est le 1er fournisseur. Il s’agit d’un duopole qui constitue une synergie fructueuse. Cependant, nous sommes ouverts et recevons effectivement des délégations d’horizons différents, sans aucune ségrégation.
EE : La dernière délégation d’hommes d’affaires que vous avez reçue était britannique précédée d’une délégation du patronat français, sachant que la Chine, l’Inde et le Maroc se positionnent comme d’importants pourvoyeurs d’IDE au Gabon. Quels sont les investissements concrets réalisés, les secteurs les plus attractifs, les richesses les plus convoitées ?
Il me paraît utile et nécessaire de rappeler que le Gabon mène une politique de diversification économique, ce qui implique aussi une diversification des acteurs. Nous sommes évidemment très à l’écoute des capacités, des spécialités que nous offre la modélisation. Donc, en fonction des secteurs dans lesquels nous nous distinguons, nous sommes particulièrement intéressés par les nouvelles technologies, par les capacités des postulants à répondre à nos besoins. Nos exigences sont évidentes, il s’agit des garanties des investissements, de la préservation de l’environnement, d’apports technologiques.
Les Britanniques sont venus affirmer leurs ambitions d’investir notamment dans l’agriculture, les Français observent le marché de la téléphonie, les Australiens ont signé un investissement de 58,8 mds de F CFA sur 3 ans pour explorer la mine de fer de Belinga. Quant aux États-Unis, il ne vous a pas échappé que le chef de l’État, Son Excellence Ali Bongo Ondimba, a pris part avec ses pairs africains et avec des hommes d’affaires à l’US-Africa Business Forum sur le thème du « Partenariat pour un avenir prospère et résilient ».
Je note par ailleurs une très bonne compréhension de la part des bailleurs de fonds de ce que souhaite le Gabon. Ces souhaits sont contenus dans le PAT dont l’axe central est l’après-pétrole.
Il s’agit par conséquent de dépasser les questions pétrolières, de nous adapter et d’en tirer des profits annexes en utilisant le gaz torché plutôt que de l’abandonner, de préparer et de lancer des secteurs productifs tels que l’agriculture, l’objectif dans ce domaine étant de réduire de moitié notre dépendance et de tendre vers une autonomie alimentaire. Le tourisme est aussi un secteur de développement considérable. Nous entendons des volontés clairement exprimées de la part de plusieurs acteurs, notamment d’explorateurs miniers. Pour réussir ces défis, nous avons besoin d’infrastructures de soutien : des routes, de l’énergie, les télécoms, le rail. Des négociations très claires et très précises sont en cours. En termes de concrétisation, nous avons en portefeuille de l’ordre de 2 000 mds de F CFA. Ces fonds sont composés de projets négociés et en cours d’exécution, notamment dans le secteur minier (Belinga au 1er rang), de l’énergie avec le barrage de Kinguélé, l’agriculture, etc.
EE : Monsieur le Ministre, le (sous) sol gabonais est aussi riche en or. Pourquoi autant de discrétion au sujet de ces réserves ? Sont-elles exploitées ?
Aucun secret. Le secteur aurifère est effectivement très peu développé. Le ministre des Mines, sous les orientations du Premier ministre, travaille à la structuration du secteur minier. C’est à cet effet qu’a été créée la Société équatoriale des mines. Elle est d’ores et déjà opérationnelle, explore et exploite certains sites.
Concernant l’or, je vous informe que des raffineries sont en cours de construction deux : l’une à Owendo et la seconde dans la ZIS de Nkok. Dans ce domaine aussi, l’objectif est de passer au troisième degré c’est-à-dire : l’exploration puis l’exploitation et la transformation. Ce dernier volet se décline en plusieurs étapes, d’où la nécessité de construire des raffineries pour alimenter les marchés nationaux, panafricains et internationaux. L’or n’a jamais été un sujet tabou et je vous donne rendez-vous dans quelques années pour mesurer l’impact économique de cette ressource.
EE : Au mois d’aout 2022 a été déposé un projet de loi fixant le cadre général de l’investissement au Gabon. Il vise, à terme, à améliorer la compétitivité de l’économie gabonaise ou encore à rendre attractif l’environnement des affaires au Gabon dans sa dynamique de promotion des investissements publics et privés. Ces textes ont-ils été adoptés ? Pouvez-vous nous apporter des précisions ?
Il s’agit en effet d’un de nos textes les plus importants. Jusqu’à présent, nous nous appuyions sur une charte des investissements et nous avions des codes sectoriels relativement épars. Cette loi est d’ores et déjà adoptée par le Conseil des ministres. Elle est approuvée par les bailleurs de fonds, le FMI, la Banque mondiale et d’autres. Ses textes répondent aux exigences de ce qui est appelé la bonne gouvernance. Les avantages financiers qu’elle présente sont cohérents, les paramètres qui entrent dans le cadre des dictats de la RSE sont enregistrés, les contreparties demandées sont respectées : l’emploi, le transfert de technologie, la formation. Un comité de contrôle est mis en place au plus haut niveau. Son rôle est d’analyser et de contrôler que les industriels implantés dans nos zones et qui bénéficient d’exonérations s’impliquent aussi dans des domaines autres pour que ces exonérations ne soient pas un simple manque à gagner pour le Gabon.
Cette loi est à présent examinée par le Parlement. Ces textes entérinent un certain nombre de principes chers aux investisseurs, ils harmonisent et rationalisent les avantages contenus dans les différents codes. Ils introduisent aussi de nouvelles notions, notamment les lois qui instituent les zones d’investissement spécial. Cette notion est consolidée dans cette loi-cadre avec des déclinaisons qui touchent à la nature des investissements. Nous aurons des zones particulièrement industrialisées, d’autres qui seront axées sur le développement touristique ou qui s’intéresseront à la formation professionnelle, aux nouvelles technologies, etc., autant de déclinaisons auxquelles nous portons une grande attention.
Une autre notion importante concerne l’agrément des investisseurs. En effet, nous avons constaté une différence dans le développement du pays selon les zones. Certaines sont moins favorablement dotées.
C’est en faveur de la décentralisation que nous mettons en place au sein de l’ANPI un interlocuteur et une stratégie uniques, des outils précis qui permettent aux investisseurs de s’implanter en toute confiance et sans ambiguïté. Cette loi devrait être adoptée avant l’été 2023.
EE : La structuration efficiente de la FEG, la fédération des entreprises du Gabon, ex-CPG, facilite les relations entre le secteur privé et votre ministère. Au cours de l’assemblée générale du 9 janvier, des échanges ont consolidé des accords de principe et les discussions ont porté sur l’objectif de créer un environnement favorable à la croissance de l’économie et à la défense des intérêts des entreprises de droit gabonais. Les IDE s’appuient-ils sur les entreprises de droits gabonais pour s’implanter ?
Dans un premier temps, je souhaite saluer l’énergie que déploie la FEG. Nous en avons besoin. C’est un partenariat qui soude l’État et le secteur privé. Ce dernier doit être fort et visionnaire
Pour répondre à votre question, je tiens à apporter quelques précisions. Qu’il s’agisse de la société Total Gabon, de Comilog ou de la vôtre, peu importe l’échelle, vous gérez des entreprises de droit gabonais. Il est évident que notre volonté est de construire, de consolider une économie inclusive. Cela nécessite que le secteur privé soit très élargi, que l’on se donne les moyens de lutter contre des sources de rentabilité informelle afin de tisser un tapis de PME solides. C’est ainsi que nous deviendrons de moins en moins dépendants. En fait, depuis des décennies, le Gabon est un fournisseur net de capitaux délivrés et vendus dans le monde. Il suffit d’analyser la structure de notre balance des paiements (revenus capital/travail), pour être convaincu qu’il faut inverser la tendance. Par conséquent, œuvrons pour que le Gabon soit une terre d’opportunité de manière que les capitaux, les revenus produits, soient réinvestis par le biais des grandes, petites et moyennes entreprises gabonaises, efficaces et compétitives. L’objectif étant de consommer les biens que nous produisons. C’est ainsi que nous maintiendrons notre souveraineté économique et durable. À cet effet, nous dialoguons, nous construisons et entretenons les meilleures relations avec la FEG. Quant à la question relative aux IDE qui seraient tenus de s’appuyer sur les PME de droit gabonais, au risque de vous surprendre, ce sont les IDE qui le réclament. Nul besoin de les conditionner. Un investisseur envisage toute probabilité, dont celle du partage des risques. Ces risques sont déjà amoindris dès lors qu’est intégré un partenaire, associé, sociétaire ou simple collaborateur gabonais. Certains investisseurs sont prêts à créer des projets mixtes, des joint-ventures avec des partenaires déjà implantés au Gabon.
EE : Le PAT a été mis en place le 18 janvier 2021 par les plus hautes autorités. Ce programme, qui s’étale jusqu’à fin 2023, a été initialement considéré à 3 500mds de F CFA. Selon nos informations, le financement de ces besoins est porté directement par le secteur privé ou en partenariat public-privé. À 10mois de l’échéance, pouvez-vous nous révéler si, effectivement, ce budget était correctement estimé et nous faire part du bilan des task-forces mises en place ?
Oui, a priori le budget a été estimé correctement. Cependant, nous ne serons en mesure de l’affirmer qu’à la lecture du bilan. Concernant la somme des 3 500 mds de F CFA, le 2/3 ont été financés par des IDE et/ou des PPP et le dernier tiers par l’État.
EE : C’est au regard de l’évaluation de l’ensemble du plan, de la réalisation des engagements et de leur impact qu’une reconduction jusqu’en 2028 sera envisagée. Quelles sont les suites de ce programme ?
Il s’agit d’une politique publique interne au PAT avec ses task-forces, pilotée par le Premier ministre. Cela dit, en ma qualité de ministre des Investissements, il me paraît inévitable de reconduire une tranche budgétaire étalée sur 3 à 5 ans.
EE : Les zones économiques de Nkok et Ikolo viennent d’être rebaptisées ZIS (zones d’investissement spécial). Une troisième zone est en cours de construction à l’intérieur du pays. Elle sera aménagée sur trois sites, dont le village de Mopia dans le département de la Mpassa, ainsi que dans les communes de Moanda et de Mounana situées dans le département de Lebombi-Leyou. Ces zones sont des appels en faveur de l’industrialisation. Quels sont les résultats escomptés en termes d’emploi, de formation, de diversification et de transformation économique ?
Une petite explication relative à l’identification de ces zones. Pourquoi la ZIS (zone d’investissement spécial) remplace-t-elle la ZERP (zone économique à régime privilégié) ? À l’origine, la ZERP de Nkok visait l’exportation. Dix ans après, nous constatons un dépassement de nos prévisions qui se traduit par des demandes de commerce national. Ce marché ne doit pas être ignoré puisqu’il entre dans la volonté de développer l’économie inclusive. Modifier l’identité et la définition nous permet d’ouvrir ces zones au marché intérieur en apportant des spécificités dans les textes qui les composent.
Dans un futur proche, chacune de ces zones présentera sa spécialité. Par exemple, les 3e et 4e transformations du bois sont réalisées à Nkok tandis que les 1re et 2e seront opérées dans les zones d’Ikolo et/ou Lebombi, principalement pour des raisons d’économie de transport et de CO2. La création de ces zones est évidemment une source importante d’employabilité : 600 emplois directs et 800 emplois indirects sont prévus ainsi que la formation nécessaire adaptée aux fonctions qui sera dispensée à Nkok. Trois centres ont été créés d’où sortent des agents qualifiés dans certains domaines précis. Nous avons bien conscience de l’importance de la formation qui nous permettra, à terme, de baisser l’importation de la main-d’œuvre. Nous prévoyons de créer des zones agricoles à forte productivité (ZAP) à Andem. Elles seraient la reproduction de la zone de Nkok avec un guichet unique, des usines de transformation, de stockage, et une école des différents métiers de l’agriculture. L’objectif à court terme (fin 2023) est de cultiver du maïs, du soja, des bananes, des oignons, du manioc et au moins 1000 ha de terres aménagées à la disposition d’investisseurs potentiels.
EE : Monsieur le Ministre, sur notre continent, huit pays réalisent des échanges commerciaux dans le cadre des conditions préférentielles de la Zlecaf. Pour quelles raisons les opérateurs industriels gabonais ne se lancent-ils pas pour bénéficier des avantages apportés par ces accords ?
Rien ne leur manque, tous les accords et autres protocoles ont été signés. Le Gabon fut l’un des premiers à adhérer à la Zlecaf. C’est à présent aux entreprises de tester et de se lancer. J’en connais quelques-unes, qu’il ne m’appartient pas de citer, qui profitent et bénéficient d’un agrément Cemac pour exporter. Tous les outils sont à disposition. Lors de nos différentes rencontres avec des investisseurs potentiels, nous utilisons cet argument pour présenter le Gabon comme une porte grande ouverte. Au sein de la Zlecaf, le Gabon est un hub de crédibilité dû à sa stabilité, à sa dotation en facteurs hors-normes. N’oublions pas que le Gabon est un pays où il fait bon vivre.