POURQUOI LE GABON PARIE DESORMAIS SUR LA BVMAC POUR SE FINANCER ?
Le 15 septembre dernier, le Gabon a lancé une nouvelle opération d’emprunt obligataire sur le marché financier de l’Afrique centrale. Baptisée « EOG 2025 à tranches multiples 2 », cette levée de fonds vise 50 milliards de F CFA (89,1 millions de dollars) et s’étendra jusqu’au 12 décembre 2025. Elle est structurée en deux tranches. L’une à deux ans assortie d’un taux d’intérêt de 5,6 %, l’autre à trois ans offrant un taux de 6 %. Chaque obligation est proposée à 10 000 F CFA l’unité.
Cette émission est orchestrée par deux facilitateurs camerounais, CCA Bourse et ESS Bourse, déjà engagés lors de l’opération de juin dernier. Celle-ci avait permis au pays de lever 119,9 mds de F CFA, soit 141 % de l’objectif initialement fixé, confirmant l’appétit des investisseurs régionaux pour la signature gabonaise.
Dans un contexte de hausse des investissements, ce retour rapide sur le marché illustre l’évolution de la stratégie de financement de l’État. Selon la Direction générale de la dette, l’encours global atteignait 7179 mds de F CFA à fin mars 2025, soit 12,8 mds de dollars. Fin juillet, ce montant s’élevait à 7 307 mds de F CFA, dont 2217 mds sur le marché régional et 1 412 mds sur le marché international. La place financière de l’Afrique centrale devient donc le pivot du financement du Gabon. Ce choix, en privilégiant la mobilisation de ressources en monnaie locale, réduit l’exposition au risque de change et contribue au développement d’un marché intégré dans la sous-région. Pour un État dont plus de la moitié de la dette est libellée en devises, la réorientation vers la BVMAC (Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale) représente un instrument de souveraineté.
Cette orientation s’appuie sur une dynamique amorcée depuis plusieurs années. Entre 2018 et 2022, le Gabon a signé pour 1 905,8 mds de F CFA d’emprunts sur le marché régional, en progression de plus de 21 % par rapport à la période précédente. En parallèle, la dette extérieure, dominée par les Eurobonds et les prêts multilatéraux, représentait encore 66 % de l’encours total. Mais depuis 2020, la tendance est claire : privilégier les financements domestiques et régionaux, moins exposés aux fluctuations du dollar et de l’euro. Ce basculement souligne la volonté du gouvernement de sécuriser des ressources adaptées aux besoins de trésorerie de l’État et la nécessité de consolider la BVMAC comme outil de souveraineté financière. Les investisseurs régionaux, pour leur part, trouvent dans ces obligations un placement sûr, liquide et rémunérateur.
Mais l’attrait du marché régional tient aussi à ses conditions de financement. Les taux proposés restent compétitifs, oscillant entre 5 % et 7 % selon les maturités, alors que les marchés internationaux imposent des primes de risque bien plus élevées aux pays émergents depuis la remontée des taux directeurs américains et européens. En juin, le Gabon a pu lever 119,9 mds de F CFA en quelques jours, preuve de la liquidité et de la confiance disponible dans la sous-région. La structuration en tranches courtes (2 et 3 ans) répond aux besoins immédiats de financement tout en offrant aux investisseurs une visibilité sur la durée de placement. Ce modèle de financement de proximité réduit les coûts liés à la mobilisation d’intermédiaires internationaux et dynamise le marché financier régional.
Certes, la charge du service de la dette reste élevée. À fin juillet 2025, le Gabon avait déjà honoré 1 285,6 mds de F CFA, dont 789,6 mds sur la dette intérieure et 496 mds sur la dette extérieure. En projection annuelle, la charge atteindrait 1 886,8 mds, soit 392 mds de plus que prévu dans la loi de finances. Cette tension est alimentée par la syndication massive de février 2025 sur le marché régional, qui a fortement accru le volume de remboursements. Néanmoins, les autorités assument ce choix. La dette est désormais conçue comme un levier de transformation. Les fonds levés en juin ont été affectés à la construction de la nouvelle cité administrative de Libreville, un projet évalué à plus de 100 mds de F CFA. Ceux mobilisés en septembre serviront à financer des projets de développement prioritaires et à soutenir la consolidation budgétaire.
C’est dans cette logique que s’inscrit le projet de loi de finances 2026 qui introduit la méthode du budget base zéro. Chaque dépense doit désormais être justifiée par son impact attendu sur la croissance et la modernisation. Le gouvernement entend ainsi concentrer les financements sur les projets les plus structurants. L’investissement public prévu en 2026 atteindra 3 321 mds de F CFA, soit un volume inédit financé en partie grâce aux émissions obligataires régionales. Le pari est de transformer l’endettement en moteur de croissance. La croissance projetée de 7,9 % en 2026, portée par le dynamisme du secteur hors pétrole (+9,2 %), témoigne du potentiel de cette stratégie, à condition de maintenir la discipline et la transparence dans l’exécution.
Le ratio dette/PIB du Gabon, estimé à 55 % en 2025, demeure en deçà du seuil de convergence de 70 % fixé par la Cemac. Cela offre une marge de manœuvre raisonnable, surtout si l’on considère que de nombreux pays de la sous-région ou d’Afrique subsaharienne présentent des ratios supérieurs. La stratégie d’endettement 2025-2027 repose sur trois piliers : renforcer la mobilisation des ressources internes, recourir aux obligations pour financer des projets à rendement économique élevé et préserver la soutenabilité grâce à une gestion active du portefeuille. Cette approche est en harmonie avec la volonté d’orienter les financements vers des infrastructures visibles, génératrices d’emplois et de recettes fiscales à moyen terme. Elle illustre un virage assumé où la dette cesse d’être perçue comme un fardeau pour devenir un outil stratégique.
Au niveau régional, ce choix confère au Gabon un rôle moteur. Ses émissions représentent une part significative des opérations sur la BVMAC et contribuent à la crédibilisation de la place financière de l’Afrique centrale. Cette dynamique bénéficie à l’ensemble de la Cemac en élargissant l’offre de produits financiers, en attirant l’épargne locale et en renforçant l’intégration économique. Pour les investisseurs institutionnels, comme les compagnies d’assurances ou les fonds de pension, les obligations gabonaises constituent un support de placement stable et rémunérateur. Le succès des émissions gabonaises contribue ainsi à élargir la profondeur et la liquidité du marché, un enjeu majeur pour l’avenir de la BVMAC.
Cependant, la stratégie de recours croissant au marché régional n’est pas exempte de défis. Le risque principal reste le refinancement à court terme, avec des maturités moyennes de trois ans qui imposent un renouvellement constant des lignes de crédit. Les autorités devront veiller à allonger progressivement les maturités et à diversifier les instruments pour limiter la concentration des remboursements. Mais la tendance est encourageante : en mobilisant l’épargne régionale, le Gabon réduit sa dépendance vis-à-vis des financements extérieurs et affirme sa souveraineté budgétaire. Dans un contexte de marges budgétaires limitées, cette stratégie apparaît comme une réponse pragmatique et ambitieuse.
Le pari gabonais sur la BVMAC est le fruit d’une double logique : répondre à des besoins pressants de financement et affirmer une souveraineté économique dans un environnement régional. L’emprunt de 89 millions de dollars lancé en septembre 2025 n’est qu’un jalon de plus dans cette trajectoire. Mais il illustre une orientation durable. Les autorités veulent transformer la dette obligataire en un instrument de développement, ancrer le financement de l’État dans la sous-région et consolider la BVMAC comme plateforme de référence.
7 307 mds de F CFA.
Encours total de la dette publique gabonaise à fin juillet 2025, dont 2217 mds déjà contractés sur le marché régional, contre 1 412 mds sur le marché international.
119,9 mds de F CFA levés en juin 2025
Lors de sa précédente émission obligataire, le Gabon a mobilisé 141 % de l’objectif initial qui était fixé à 85 mds. Ce succès a renforcé la confiance des investisseurs de la Cemac.
50 mds de F CFA visés en septembre 2025.
L’opération « EOG 2025 à tranches multiples 2 » propose deux maturités (2 ans à 5,6 % et 3 ans à 6 %), confirmant l’attrait des émissions à court et moyen terme pour les porteurs régionaux.
1 886,8 mds de F CFA de service de la dette en 2025.
La charge totale, supérieure de près de 392 mds aux prévisions initiales, montre le poids budgétaire de la dette, mais aussi la capacité du Gabon à honorer ses engagements.
7,9 % de croissance attendue en 2026
Le PLF (projet de loi de finances) 2026 projette une croissance soutenue par un investissement public record de 3 321 mds de F CFA, financés en partie grâce à la mobilisation du marché régional.