CEMAC : UNE STRATEGIE FISCALE POUR REVITALISER LE MARCHE DES TITRES PUBLICS
Les acteurs principaux des finances publiques, du secteur bancaire et des marchés financiers d’Afrique centrale se sont réunis du 16 au 19 juin 2025 à Libreville pour la 14e session du Cadre permanent de concertation des Trésors publics (CPC-TP) de la Cemac. Nous avions évoqué la session précédente dans nos colonnes des Échos de la CEMAC n° 1. Derrière ce rendez-vous technique, un enjeu clair : les États veulent relancer un marché des titres publics qui s’essouffle, moderniser les administrations fiscales, renforcer la transparence, harmoniser les régimes fiscaux et surtout, restaurer la confiance des investisseurs. À l’heure où les économies africaines doivent faire plus avec moins, la zone Cemac tente de se distinguer par une démarche résolument endogène et coopérative pour sécuriser ses marges de manœuvre.
Une ère nouvelle pour la gouvernance financière régionale s’ouvre donc en zone Cemac. C’est tout le sens donné à cette 14e session du CPC-TP, organisée à Libreville sur le thème : « Réformes fiscales et pérennité du marché des valeurs du Trésor de la Cemac ». Ces travaux ont rassemblé les décideurs principaux des Trésors publics, les acteurs du secteur bancaire, les régulateurs des marchés financiers ainsi que les partenaires techniques.
Créé en 2021, le CPC-TP vise à renforcer la coordination des politiques de gestion de la trésorerie publique et à consolider le marché régional des titres publics dont les premières opérations ont eu lieu en 2011. En quatorze ans, ce marché est devenu un levier incontournable de financement des États. Il a connu des avancées importantes : entre encours en hausse, infrastructures modernisées, implication accrue des investisseurs non bancaires, du chemin a été parcouru. Cependant, il montre aujourd’hui des signes d’essoufflement. En effet, malgré une progression du ratio encours/PIB passé de 0,1 % à 12,5 % en mars 2025, les dernières années ont vu une baisse notable de la participation des spécialistes en valeurs du Trésor (SVT), une hausse des coûts d’émission et une atonie du marché secondaire. C’est précisément pour répondre à ces signaux d’alerte que cette session a été convoquée, l’objectif étant de proposer des solutions innovantes et structurelles pour relancer un marché essentiel au financement des économies de la zone.
Parmi les priorités identifiées figurent l’élargissement de l’assiette fiscale, la modernisation des dispositifs de collecte des impôts, la consolidation du marché secondaire, l’harmonisation des régimes fiscaux et l’optimisation de la gestion de la dette souveraine. Il s’agit de renforcer la confiance des investisseurs en garantissant la transparence, la stabilité et la prévisibilité budgétaires. Les experts ont d’ailleurs insisté sur la nécessité de digitaliser les administrations fiscales pour améliorer les performances, réduire les fuites de recettes et soutenir la dynamique de transformation. L’urgence de rationaliser les dispositifs d’exonérations fiscales, d’en mesurer l’impact réel et de renforcer les capacités d’analyse des administrations financières a été particulièrement soulignée. L’objectif est de concilier mobilisation des ressources intérieures, attractivité économique et justice fiscale, dans un contexte marqué par des besoins budgétaires croissants et une quête de soutenabilité à long terme.
Dans le même esprit, les débats ont porté sur la valorisation des portefeuilles titres, les opérations de rachat/échange, la diversification de la base des investisseurs et la réglementation des changes, tous ces leviers visant à bâtir un marché financier plus robuste, plus inclusif et mieux intégré.
La session a également abordé la dimension politique et institutionnelle des réformes. La journée dédiée à l’évaluation des recommandations passées relatives aux Trésors publics a permis de faire un bilan à mi-parcours. Lors des échanges, les experts ont par ailleurs salué l’engagement des autorités gabonaises qui ont fait de la gouvernance des finances publiques et de l’amélioration de la qualité de la dépense un pilier de leur action gouvernementale.
Les États membres ont également partagé leur ambition d’harmoniser leurs régimes fiscaux pour renforcer la cohérence du marché. Cette convergence est essentielle pour garantir des conditions de financement comparables entre pays et stimuler la confiance des investisseurs régionaux comme internationaux. Dans cette optique, la participation d’institutions comme la Commission de la Cemac, la Cosumaf, la Cobac, la BDEAC, la CIMA, la Cipres et Afritac Centre (FMI) a été décisive. Une communication spéciale a d’ailleurs été consacrée à la stratégie d’attractivité des investisseurs non-résidents qui représentent une source encore peu exploitée de financement à long terme.
Cette session a globalement marqué un tournant dans la manière dont la Cemac conçoit son avenir financier. Elle a permis d’acter que la solution ne viendra ni exclusivement de l’extérieur ni seulement des ajustements techniques. Ce qui se construit aujourd’hui dans la sous-région, c’est une gouvernance budgétaire plus intégrée, plus agile, plus transparente. L’intensification des échanges, l’alignement des dispositifs et la mobilisation de l’épargne domestique deviennent les vecteurs d’un nouveau récit financier africain. La Cemac, souvent perçue comme dépendante des financements extérieurs, montre qu’elle peut générer ses propres solutions à condition de mutualiser ses efforts, moderniser ses outils et affirmer sa souveraineté financière collective.
Libreville n’a donc pas simplement accueilli une réunion technique. Elle a ouvert une dynamique collective, une ambition régionale réaffirmée et un réalisme budgétaire assumé. En ce sens, la 14e session du CPC-TP restera comme un moment fondateur dans la construction d’une Cemac financièrement autonome, fiscalement responsable et pleinement tournée vers un développement économique maîtrisé, équilibré et endogène.