TRANSPORTS : LE GOUVERNEMENT LANCE LES GRANDES MANŒUVRES POUR LA REMISE À NIVEAU D’UN SECTEUR PIVOT

Longtemps perçu comme un goulet d’étranglement pour l’économie nationale, le transport est en train de se transformer en véritable levier de compétitivité. Le gouvernement a dévoilé une feuille de route de 50 objectifs pour restructurer, sécuriser et moderniser ce secteur vital. Le transport ne se résumera plus simplement à la mobilité des personnes. Désormais, il conditionnera l’exportation des minerais et des bois transformés, l’écoulement des productions agricoles, la maîtrise de la facture logistique et donc l’équilibre de la balance commerciale. Un programme ambitieux porté à la fois par la digitalisation des services, la remise à niveau du rail et des efforts importants sur le plan énergétique.

En misant simultanément sur la réhabilitation du chemin de fer, la fusion et la digitalisation des régies des transports urbains, la sécurisation des titres et du contrôle technique, ainsi que sur la montée en puissance d’une compagnie nationale aérienne adossée à un programme massif de réhabilitation des aéroports, l’exécutif entend faire du transport non plus un coût subi, mais un vecteur d’attractivité et de croissance. Cette vision s’inscrit dans une stratégie de diversification qui doit soutenir une économie en quête de croissance à deux chiffres, moins dépendante du pétrole et plus compétitive sur les marchés régionaux et internationaux.

Le pari est audacieux. L’État gabonais veut sécuriser les flux, réduire les surcoûts, améliorer la productivité et connecter le pays au reste du monde. Des rails plus solides, des bus plus fiables, des documents infalsifiables et des avions plus réguliers : derrière chaque projet se joue la même équation, celle d’une économie qui cherche à se dégager de ses contraintes logistiques pour libérer son potentiel de croissance.

Le ferroviaire comme colonne vertébrale logistique

Le chemin de fer reste l’axe vital du transport gabonais puisqu’il concentre plus de 40  % des flux de marchandises lourdes, notamment le manganèse dont le pays est l’un des deux premiers producteurs mondiaux. En 2023, la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) a transporté près de 7 millions de tonnes de minerai par rail, soit une augmentation de 15  % par rapport à 2021, preuve de la pression croissante sur les infrastructures. Le gouvernement, via la Société d’exploitation du Transgabonais (Setrag), a engagé un vaste plan de modernisation chiffré à près de 230 mds de F CFA sur dix ans avec pour objectif de renforcer les rails, sécuriser les passages, rénover les gares et augmenter la vitesse commerciale. Ces investissements visent non seulement à fluidifier le transport minier, mais aussi à rendre le rail plus attractif pour les flux agricoles et forestiers. Le développement de l’agriculture, inscrit dans le Plan national de la croissance et de développement (PNCD), suppose et impose des corridors fiables vers Libreville et le port d’Owendo. Un chemin de fer modernisé permettra de réduire de jusqu’à 30 % les coûts logistiques de certaines filières, rendant les produits gabonais plus compétitifs sur les marchés de la CEEAC et au-delà.

Vers un modèle plus intégré du transport urbain 

La mobilité urbaine, longtemps laissée au secteur informel, représente aujourd’hui un véritable défi économique. Libreville, qui concentre près de 60  % de la population du pays, connaît une croissance démographique rapide, évaluée à 3  % par an. Les pertes de productivité liées aux embouteillages sont estimées par la Banque mondiale à 1,5  % du PIB chaque année. Pour y remédier, le gouvernement a lancé la fusion des régies existantes, notamment Sogatra et Trans-Urb, afin de créer une entité unique, mieux dotée et digitalisée. La flotte de bus doit être progressivement renouvelée, avec un accent mis sur les motorisations propres. Des discussions sont en cours avec des partenaires asiatiques pour l’acquisition de bus électriques ou hybrides, dont le coût unitaire se situe entre 90 et 120 millions de F CFA. À terme, l’objectif est de porter le parc à 400 bus opérationnels d’ici 2027, contre moins de 120 aujourd’hui. Ce bond qualitatif permettrait de réduire la dépendance aux taxis clandestins, de mieux réguler les tarifs et d’améliorer la qualité de service pour les usagers. Au-delà du confort, il s’agit d’un enjeu économique : moins de congestion, c’est plus de productivité, moins de pollution et une meilleure attractivité urbaine pour les investisseurs.

Mais la réforme du transport passe aussi par la gouvernance et la digitalisation. Le ministère a initié la modernisation des titres de transport, des permis de conduire et du contrôle technique. Ces documents, désormais sécurisés et infalsifiables, doivent générer des recettes supplémentaires tout en réduisant les fraudes. Selon les estimations, les fraudes représentent jusqu’à 20  % des recettes potentielles dans ce segment. La mise en place de plateformes numériques centralisées, adossées à des opérateurs techniques spécialisés, permet une meilleure traçabilité et une réduction du cash. Ces recettes supplémentaires sont cruciales pour financer l’entretien des routes et des infrastructures. Le FMI estime que le Gabon consacre déjà 6  % de son PIB aux infrastructures, mais qu’un tiers de ces dépenses est absorbé par les coûts de maintenance, faute de mécanismes de gestion performants. En alignant gouvernance, digitalisation et traçabilité, le gouvernement espère dégager des marges budgétaires pour réinvestir dans des infrastructures productives. La logique est claire : moins de pertes, plus d’investissements et in fine, une baisse des coûts de transaction pour les acteurs économiques.

L’aérien, un secteur stratégique à réinventer

Le Gabon figure parmi les pays d’Afrique centrale aux taxes aériennes les plus élevées, représentant parfois jusqu’à 45  % du prix du billet sur certaines lignes régionales. Cette situation, qui freine la connectivité et renchérit les coûts de voyage, est aujourd’hui au cœur d’une réforme annoncée. Le gouvernement veut relancer une compagnie aérienne nationale, soutenue par un programme massif de réhabilitation des aéroports provinciaux (Franceville, Port-Gentil, Oyem). Le plan prévoit également une baisse progressive de certaines taxes, afin de rendre l’offre plus compétitive face aux hubs régionaux comme Douala ou Brazzaville. Cette stratégie s’inscrit dans une logique de stimulation d’un tourisme multiforme, pour faciliter les affaires et connecter les bassins de production à l’international. Le Gabon, qui a accueilli moins de 100 000 touristes en 2023 contre plus d’un million pour son voisin camerounais, voit dans la relance aérienne un levier majeur de diversification.

Ce plan de transformation du transport est sans aucun doute un pari sur la compétitivité. La Banque africaine de développement (BAD) évalue à 1,18 md de dollars par an les besoins de financement du Gabon d’ici 2030 pour combler son déficit d’infrastructures. Mais chaque franc investi dans la logistique produit un effet multiplicateur sur l’économie. Selon la Cnuced, une réduction de 10 % des coûts logistiques accroît les exportations de 20  % dans les pays en développement. Réhabiliter et construire le réseau routier, rénover les rails, moderniser les bus, digitaliser les titres, relancer l’aérien, chaque chantier enclenché contribuera indéniablement à créer un cercle vertueux où baisse des coûts et hausse de la productivité se nourrissent mutuellement.

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