PÉKIN, WASHINGTON, ANKARA : LE GABON RENFORCE SA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE
Le Gabon inaugure une nouvelle étape de son développement en plaçant la diplomatie économique au cœur de sa stratégie nationale. Dans un contexte mondial marqué par la rivalité des grandes puissances, la transition énergétique et la compétition pour les ressources minières, Libreville ne veut plus être un simple exportateur de matières premières, mais un partenaire incontournable capable de négocier d’égal à égal. Pékin, Washington, Ankara, les récentes visites du président Brice Clotaire Oligui Nguema traduisent cette ambition de diversifier les alliances, sécuriser des investissements structurants et transformer chaque rencontre internationale en levier concret de croissance. Bien plus qu’un repositionnement diplomatique, il s’agit d’une offensive économique assumée, visant à offrir au pays de nouvelles perspectives de financement, d’industrialisation et d’intégration aux grandes chaînes de valeur mondiales.
Sécuriser des engagements structurants avec Pékin
La participation du président Oligui Nguema au sommet Focac à Pékin il y a tout juste un an avait clairement pour objectif de consolider un partenariat déjà robuste. La Chine reste pour Libreville le partenaire majeur de financement d’infrastructures, d’achats de ressources et de projets industriels. Les rencontres bilatérales avec Pékin ont permis d’obtenir des assurances sur le maintien des lignes de crédit et sur des coopérations technologiques dans les énergies renouvelables et la transformation locale des matières premières. Pour le Gabon, il s’agissait de garantir des flux d’investissements à court terme et de négocier des transferts de capacité industrielle pour que la valeur ajoutée reste sur le territoire. Résultat, lors de ce forum Gabon-Chine organisé en marge du Focac, le Gabon a mobilisé plus de 4,3 mds de dollars d’investissements en partenariats public-privé (PPP) et privés. Par ailleurs, plusieurs entreprises d’État chinoises ont exprimé un intérêt pour 12,35 mds de dollars de projets structurants allant du chemin de fer Belinga-Mayumba au port de Mayumba en passant par l’aménagement de 3 000 km de routes bitumées dans le pays.
Changement de paradigme avec Washington
Cependant, la diplomatie active de Libreville ne s’arrête pas là. Aux États-Unis, en réponse à l’invitation des plus hautes autorités américaines, le président gabonais a visé un objectif complémentaire lors de ces deux visites : convaincre le secteur privé américain que le Gabon est une destination d’investissement sérieuse. La visite à Washington en juillet dernier a marqué une étape décisive pour la diplomatie économique gabonaise. En marge de sa participation au sommet multilatéral sur l’exploitation des minéraux critiques convoqué par Donald Trump, un accord stratégique a été signé avec la société américaine Millenial Potash, portant sur un financement de 500 millions de dollars pour le développement du gisement de potasse de Mayumba. Une première tranche de 5 millions de dollars sera affectée aux études de faisabilité tandis que l’enveloppe principale financera la construction des infrastructures minières et logistiques. Le projet prévoit une production annuelle de 800 000 tonnes d’engrais potassique et la création de 375 emplois directs et 600 emplois indirects.
Au-delà de cet accord phare, Libreville a également présenté aux autorités américaines et aux investisseurs privés une série de projets stratégiques, notamment des discussions avancées avec Exxon Mobil pour de nouveaux blocs pétroliers offshore, des négociations avec Rapiscan pour le port en eau profonde de Mayumba, avec Boeing pour l’acquisition de trois avions gros porteurs d’ici 2029 ainsi que la mise en avant du projet de ligne de chemin de fer Belinga–Booué–Mayumba (901 km) destiné à transporter le minerai de fer. À cela s’ajoute la construction du barrage hydroélectrique de Booué et de plusieurs axes routiers majeurs.
Le Gabon a également exprimé son souhait de mobiliser entre 2 et 3 mds de dollars auprès de la US International Development Finance Corporation (DFC) et de l’Eximbank pour soutenir ces projets structurants. Cette offensive américaine vise à mettre fin à l’exportation brute des matières premières, décision actée le 4 juin 2025 afin d’orienter la production de manganèse (12 millions de tonnes par an), de fer, de lithium, de cobalt et d’or vers des unités locales de transformation. Une stratégie qui devrait non seulement augmenter la valeur ajoutée, mais aussi répondre à une demande énergétique nationale évaluée à 9 GW. Tout un programme.
Pragmatisme assumé et capacité d’exécution avec Ankara
La visite à Ankara, tout juste après celle de Washington, illustre par ailleurs l’intérêt du Gabon pour des partenaires moins classiques, mais très opérationnels. La Turquie, qui développe depuis plusieurs années une diplomatie économique intensive en Afrique, a signé avec Libreville une série d’accords couvrant mines, énergie, formation professionnelle et infrastructures. Les offres turques sont souvent orientées « clés en main » puisqu’en général les entreprises turques peuvent fournir ingénierie, construction et formation locale dans des délais resserrés, avec des mécanismes de financement mixtes État-entreprises. On a pu le voir avec Karpowership dans le secteur énergétique. Pour le Gabon, l’avantage est la rapidité d’exécution et la possibilité d’installer des capacités industrielles locales (usines de transformation du bois, unités de traitement minier) sans dépendre exclusivement d’un grand acteur traditionnel. Les réceptions protocolaires et la signature d’accords, notamment le protocole portant sur la création du conseil d’affaires Gabon-Turquie, celui portant sur la coopération en santé militaire, celui relatif à la mise en œuvre d’une aide financière en vue de la réalisation de projets structurants, sur la coopé-
ration dans le domaine de l’énergie, en vue de développer des solutions énergétiques durables, dans le secteur des hydrocarbures avec l’exploration, la production, l’investissement et le développement du gaz, du pétrole et des mines, ou encore celui conclu dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement professionnel, technique et de la formation, confirment la volonté gabonaise d’élargir son cercle de partenaires.
La diplomatie économique gabonaise vise des résultats sectoriels précis : attirer des technologies pour optimiser la production tout en cherchant des partenaires pour valoriser localement les hydrocarbures et investir dans des solutions bas-carbone dans le cas du pétrole et de l’énergie ; encourager l’industrialisation locale afin de capter davantage de valeur ajoutée sur place (scieries, usines de panneaux, filières certifiées) pour ce qui est du secteur forestier ; sécuriser des partenariats pour la transformation des minerais (fer, potasse, manganèse) afin de réduire l’exportation brute de matières premières et obtenir des financements et des cofinancements pour routes, ports, hôpitaux et formation professionnelle. Des priorités qui ressortent clairement des accords signés et des déclarations faites lors des rencontres bilatérales et des forums économiques où le président s’est rendu et qui par ailleurs, s’inscrivent dans le cadre du Plan national de développement de la croissance.
Avec des gisements naturels diversifiés, une position stratégique en Afrique centrale, une faible densité de population qui facilite certains projets agricoles et une volonté affichée de réformes, le Gabon dispose d’atouts majeurs. Cependant, pour que cette diplomatie économique porte ses fruits, le gouvernement devra conjuguer ouverture extérieure et renforcement interne. Les bailleurs et investisseurs demandent aujourd’hui davantage d’« assurance » institutionnelle. Les autorités gabonaises l’ont compris et multiplient les rencontres non seulement avec les États, mais avec les agences de financement et les institutions privées (banques de développement, chambres de commerce).
Les voyages à Pékin, Washington et Ankara montrent non seulement que le Gabon n’a pas choisi un seul modèle puisqu’il combine diplomatie politique, prospection économique et recherche d’expertise industrielle, mais aussi qu’il entend tout faire pour atteindre son objectif de croissance à deux chiffres. Si Libreville parvient à encadrer juridiquement et fiscalement ces nouveaux partenariats, la diplomatie économique pourrait devenir un levier réel de diversification et de stabilisation budgétaire.

