GABON : UNE CENTRALE D’ACHAT ÉTATIQUE POUR BRISER LA SPIRALE DES PRIX ET REMODELER LA DISTRIBUTION

Face à une inflation persistante qui pèse sur les ménages et à des pratiques spéculatives régulièrement dénoncées dans la chaîne de distribution, le gouvernement gabonais a décidé de reprendre la main. Avec la création de la Centrale d’achat du Gabon (CEAG), société d’économie mixte officiellement créée en Conseil des ministres le 12 août 2025, l’État se dote d’un instrument inédit pour contrôler l’importation, le stockage et la distribution des produits essentiels. La CEAG deviendra à terme l’unique importateur d’une cinquantaine de denrées et biens stratégiques, du riz à l’huile en passant par le sucre et certains matériaux de construction. L’objectif est à la fois de stabiliser les prix à travers un encadrement strict des marges et d’amorcer une dynamique de souveraineté alimentaire en réduisant les dépendances extérieures. Pour y parvenir, l’État mise sur un partenariat public-privé avec un actionnariat partagé entre puissance publique (37%) et opérateurs privés (63%), au premier rang desquels figurent les poids lourds de la distribution comme Carrefour–Prix Import, Intermarché–Ceca-Gadis ou encore Casino–Mbolo.

Cette alliance entre régulateur et distributeurs pourrait redéfinir durablement les règles du jeu sur un marché alimentaire dominé par quelques enseignes et régulièrement critiqué. Constituée sous forme de société anonyme dotée d’une autonomie de gestion, la CEAG est pensée comme un outil de régulation, mais aussi comme une structure capable de fonctionner selon les standards du privé. La structure de son capital illustre la volonté d’impliquer directement les acteurs dominants du marché dans la mise en œuvre de la politique publique. La tutelle technique, confiée au ministère de l’Économie et des Finances, garantit une supervision étroite. Les statuts de la CEAG, adoptés conformément aux règles de l’Ohada, précisent à ce titre les mécanismes de gouvernance, d’audit et de gestion financière afin d’éviter les écueils de certaines expériences passées où la régulation étatique s’était heurtée à des problèmes d’opacité et de mauvaise gestion.

Exclusivité sur une cinquantaine de produits

La grande innovation réside dans l’octroi d’un monopole à la CEAG. Dès son entrée en activité, elle deviendra l’unique importatrice d’une cinquantaine de produits de première nécessité, listés en Conseil des ministres. Riz, farine, lait en poudre, sucre, huile, mais aussi certains matériaux de construction comme le ciment ou l’acier figurent parmi les produits ciblés. En centralisant les importations, le gouvernement espère réduire la volatilité des prix, limiter les ruptures de stock et offrir aux ménages une meilleure visibilité sur leurs dépenses alimentaires.

Carrefour, Intermarché, Casino : des partenaires incontournables

Les distributeurs déjà bien implantés au Gabon sont appelés à jouer un rôle majeur. Carrefour–Prix Import, Intermarché–Ceca-Gadis et Casino–Mbolo, qui concentrent une part importante du commerce de détail à Libreville et Port-Gentil, détiennent une expertise logistique et des réseaux de distribution qui seront essentiels à la réussite du projet. Leur intégration dans l’actionnariat à hauteur des 63  % réservés au secteur privé n’est pas anodine. Elle traduit une volonté du gouvernement d’associer les géants de la distribution à l’effort de régulation. Pour ces enseignes, il s’agira de sécuriser leurs approvisionnements grâce à la mutualisation des volumes importés par la CEAG, mais aussi d’accepter une transparence accrue dans la formation des prix.

Cette nouvelle donne pourrait également rebattre les cartes de leurs stratégies commerciales respectives. En participant au capital de la centrale, ces distributeurs devront s’aligner sur des règles communes, ce qui réduira leur liberté de fixation des prix, mais renforcera leur rôle de relais auprès des consommateurs. Pour l’État, c’est une manière d’éviter les contournements et de s’assurer que les produits vendus dans les grandes surfaces respectent les prix de référence définis par la CEAG. Derrière l’objectif immédiat de lutte contre la vie chère, le projet poursuit bien évidemment l’objectif de souveraineté économique. En négociant directement avec les pays producteurs, la CEAG pourra obtenir des tarifs préférentiels, réduire les frais d’intermédiation et garantir des flux stables.

La centralisation permettra aussi de planifier plus finement les importations, en fonction des besoins réels du marché, et de favoriser les filières locales. à terme, l’ambition affichée par le gouvernement est de réduire la dépendance alimentaire du Gabon en structurant une production nationale compétitive. En contrôlant mieux les volumes importés, l’État pourra calibrer ses politiques de soutien aux producteurs locaux, notamment dans le manioc, le maïs ou les cultures maraîchères, afin de stimuler la substitution progressive de l’offre domestique aux importations.

Par ailleurs, le choix d’instaurer un monopole étatique encadré par des opérateurs privés est à contre-courant de la libéralisation économique amorcée depuis plusieurs décennies, mais si ce modèle hybride réussit, il pourrait inspirer d’autres pays confrontés aux mêmes difficultés. La réussite de la CEAG dépendra à la fois de la rigueur de sa gouvernance, de la capacité de l’État à résister aux pressions, de l’efficacité des distributeurs partenaires, mais aussi de la soutenabilité financière d’un tel dispositif. L’expérience de pays comme l’Éthiopie ou l’Algérie, qui ont tenté des modèles similaires avec des fortunes diverses, montre que la discipline budgétaire et la transparence dans la gestion sont des conditions incontournables.

La CEAG répond à une demande sociale pressante. Les ménages gabonais, fortement exposés à la hausse des prix des denrées alimentaires et des matériaux de construction, attendent des résultats rapides. Pour le président Oligui Nguéma, qui a fait de la lutte contre la vie chère un axe central de son mandat, ce projet est autant un outil économique qu’un symbole politique. En redéfinissant le rôle de l’État comme régulateur actif et en forçant les grands distributeurs à coopérer, le gouvernement entend ouvrir une nouvelle ère de gestion des prix et de transparence sur le marché gabonais.

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