QUELLE PLACE POUR LA CEMAC ET POUR LE GABON EN PARTICULIER ?

En quelques années, l’intelligence artificielle (IA) s’est imposée comme un levier stratégique du développement économique à l’échelle mondiale. Selon une étude du cabinet Price Waterhouse Coopers intitulée «Sizing the Prize : What’s the real value of AI for your business and how can you capitalize ?» publiée dès 2017, l’IA pourrait ajouter 15700 milliards de dollars US à l’économie mondiale d’ici 2030, c’est dire. Le continent africain, longtemps resté en retrait dans la compétition technologique, accélère donc logiquement sa transition. À l’Africa CEO Forum 2025, les dirigeants du secteur privé et les responsables gouvernementaux ont convergé vers un même constat : l’IA n’est plus un luxe technologique, mais une nécessité stratégique. Autour du thème «Façonner l’avenir numérique de l’Afrique», les débats ont mis en évidence trois priorités : la formation des talents, la souveraineté des données et la structuration d’écosystèmes locaux innovants. Les résolutions issues de ce sommet sont claires. D’abord, accélérer la mise en place de politiques nationales d’intelligence artificielle, à l’image du Rwanda ou du Ghana. Par ailleurs, renforcer les partenariats public-privé pour faciliter le financement des infrastructures numériques. Enfin, intégrer les applications de l’IA dans des secteurs clés comme la santé, l’agriculture, l’éducation et la logistique, pour stimuler des gains de productivité durables. Cette dynamique positionne des pays comme le Kenya, le Nigéria ou l’Afrique du Sud à l’avant-garde d’un tournant technologique africain.

La Cemac montre quelques signaux encourageants 

En Afrique centrale, la montée en puissance de l’IA reste embryonnaire, mais en progression constante. Même si, pour l’heure, aucun pays ne figure encore dans le top 10 du AI Talent Readiness Index for Africa 2025, qui classe les nations selon leur niveau de préparation à l’intégration de l’IA, quelques initiatives méritent d’être mentionnées. Plusieurs pays de la région se démarquent. 

Le Cameroun a lancé en 2023 un programme pilote d’intégration de l’intelligence artificielle dans l’administration fiscale, avec le soutien de la Banque mondiale. La République du Congo expérimente l’usage de l’IA pour la surveillance environnementale dans le bassin du Congo, en partenariat avec des centres de recherche européens. Quant au Tchad, il a intégré des modules d’intelligence artificielle dans les curricula universitaires, sans toutefois disposer d’une politique nationale formelle. Ces efforts restent dispersés, mais encourageants. Ils témoignent d’une volonté des pays de s’arrimer aux nouvelles normes en matière de technologie, dans une région marquée par des défis communs. Il faut dire que l’IA pourrait offrir des réponses adaptées, à condition d’une volonté politique plus affirmée.

Un pari pour le Gabon qui entend faire de l’IA un levier de transformation

Dans ce paysage régional en mutation, le Gabon dispose d’atouts importants, mais encore peu exploités. Doté d’une connectivité numérique intéressante à Libreville et Port-Gentil, d’un vivier de jeunes diplômés et d’un marché institutionnel centralisé, le pays pourrait devenir un laboratoire de l’IA appliquée à la gestion publique et à la productivité des services. D’ailleurs, depuis 2023, le gouvernement gabonais a manifesté une volonté claire de se positionner sur la carte technologique africaine. 

Le ministère de l’Économie numérique a récemment engagé des consultations en vue de l’élaboration d’une stratégie nationale de l’IA. Plusieurs initiatives pilotes ont été lancées, notamment dans le domaine de la santé, avec la digitalisation des dossiers médicaux à l’aide d’algorithmes prédictifs, ou dans l’agriculture avec des capteurs connectés pour optimiser les rendements. Cependant, des contraintes importantes freinent cette montée en puissance. La faiblesse de l’écosystème entrepreneurial technologique, l’insuffisance des financements, la dispersion des compétences et l’absence de cadre réglementaire spécifique à l’IA constituent à la fois un obstacle et une opportunité. 

La transformation est en marche. La Direction générale de la statistique explore, par exemple, l’intégration de l’IA dans l’analyse prédictive des données économiques. Le Gabon entend également collaborer avec des centres de recherche étrangers, notamment sud-africains et tunisiens, pour accélérer son apprentissage institutionnel. L’exemple du Maghreb, avec la Tunisie, l’Algérie et le Maroc classés dans le top 10 africain, a convaincu les autorités gabonaises de cette nécessité. Pour le Maroc, l’adoption de l’IA devrait augmenter le PIB du pays de 10 % d’ici 2030 grâce aux secteurs numérique, industriel et agricole, selon des rapports gouvernementaux marocains, et de 7 % pour la Tunisie et l’Algérie. 

La forte empreinte de l’IA dans ces pays prouve qu’un engagement politique clair, associé à une vision à long terme, peut faire émerger une véritable économie de la connaissance fondée sur l’IA. En Tunisie déjà, l’IA est intégrée dans les politiques éducatives depuis le secondaire, tandis qu’au Maroc, des fonds souverains soutiennent activement les startups d’IA. Le Kenya et le Rwanda, bien que n’appartenant pas à des économies très industrialisées, démontrent que la stratégie peut compenser les moyens. Le Rwanda, avec 46,9 points au AI Readiness Index, a massivement investi dans la formation numérique et dans la régulation des données. Le Ghana, de son côté, développe des outils d’IA pour prédire les risques sanitaires et agricoles dans les zones rurales.

Cependant, l’IA, en automatisant des tâches jusqu’ici réalisées par l’humain, peut modifier profondément le paysage de l’emploi avec, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), près de 44% des postes administratifs en Afrique potentiellement affectés par l’automatisation d’ici 2040, ce qui n’est pas négligeable. Au Gabon, où l’administration publique représente plus de 50% de l’emploi formel, non préparée, une telle transition pourrait creuser le chômage des jeunes et accentuer les inégalités déjà criantes.

«L’intelligence artificielle ne doit pas remplacer les travailleurs, mais augmenter leurs capacités», soulignait à juste titre en avril 2024 le professeur Jean-François Ndong, chercheur en transformation digitale à l’université Omar Bongo, qui plaide pour une politique active de formation continue, en particulier dans les métiers de la logistique, de la santé et de l’éducation. Quant à Laurence Ndong, ex-ministre de la Communication et des Médias, elle indiquait il y a un peu plus d’un an que «nous devons concevoir nos propres solutions d’intelligence artificielle adaptées à nos cultures». Il faudra donc trouver un juste équilibre. 

Pour le Gabon, l’inspiration, sinon les inspirations sont là. Il s’agit désormais d’institutionnaliser la démarche IA dans le Plan national de développement et d’en faire un pilier de diversification économique. En ciblant les secteurs où les gains de productivité sont les plus importants, comme les finances publiques, la logistique portuaire, la santé ou l’agriculture, l’intelligence artificielle pourrait devenir l’un des moteurs du renouveau économique national.

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