PORTS, INDUSTRIES, INTÉGRATION : LIBREVILLE DESSINE LA NOUVELLE CARTE LOGISTIQUE DE LA CEMAC

Dans un contexte de bouleversement des chaînes de valeur mondiales, l’Afrique cherche à repositionner ses ports au cœur de son développement économique. L’édition 2025 de l’Africa Ports Forum, tenue à Libreville, en a été la parfaite démonstration. Pendant deux jours, experts, logisticiens, industriels et aménageurs portuaires ont proposé une vision continentale ambitieuse : faire des infrastructures portuaires non plus de simples points d’entrée ou de sortie, mais des leviers directs d’industrialisation, d’intégration régionale et de compétitivité globale. En accueillant ce forum, la capitale gabonaise affirme au passage, sa volonté de devenir un acteur central de cette transformation, dans la zone Cemac et au-delà.

Rendez-vous stratégique organisé par One Africa Forums, l’Africa Ports Forum a tenu toutes ses promesses. Réunissant plus de 300 participants issus d’une trentaine de pays, cette édition 2025 s’est tenue sous le thème «Innovation et intégration», dans un contexte où la redéfinition des chaînes de valeur mondiales impose à l’Afrique de se doter d’infrastructures portuaires performantes, connectées et au service de l’industrialisation. Ce forum s’est inscrit dans la continuité des éditions précédentes à Abidjan (2023) et Cotonou (2024), où les questions de financement, de digitalisation, d’écologisation des ports et de gouvernance logistique avaient été abordées. En 2023, à Abidjan, il avait été recommandé de renforcer les mécanismes PPP (Partenariat Public – Privé Portuaires) dans les ports secondaires, à Cotonou un an plus tard, l’intégration régionale via les corridors logistiques comme le Cotonou-Niamey ou le Lomé-Ouagadougou avait été présentée comme un modèle à généraliser. Libreville, cette année, a franchi un cap en recentrant les discussions sur l’interface stratégique entre infrastructures portuaires et transformation industrielle.

Il faut dire que le Gabon, pays hôte, affiche une volonté affirmée de jouer un rôle moteur dans cette dynamique. Le projet du port en eau profonde de Mayumba, en cours de maturation, devrait, par exemple, permettre au pays de traiter des volumes de fret bien supérieurs à ceux gérés actuellement à Owendo qui oscillaient autour de 6,2 millions de tonnes de marchandises en 2023, loin derrière des hubs comme Lomé (22Mt) ou Abidjan (27 Mt), mais avec un fort potentiel de croissance, notamment sur les filières bois et minerais. Ce potentiel logistique est renforcé par les projets de zones industrielles spéciales, comme Nkok, qui ambitionnent de produire des biens transformés à destination des marchés régionaux et internationaux.

Selon la Cnuced, les coûts logistiques représentent jusqu’à 40% de la valeur des produits industriels en Afrique contre moins de 15% dans les pays de l’OCDE. L’enjeu est donc non seulement économique, mais aussi structurel: sans ports compétitifs et interconnectés, la volonté de montée en gamme industrielle restera fragile. À Libreville, les discussions ont donc largement montré l’importance de concevoir les ports comme des hubs multimodaux, capables de transformer les zones de production et de transformation, de capter les flux régionaux dans le cadre de la Zlecaf, et d’assurer un positionnement attractif face aux ports asiatiques et européens.

Fort de sa position géographique au coeur de la Cemac, le Gabon s’affirme comme un hub logistique régional de premier plan. Le pays est en effet traversé par plusieurs corridors naturels reliant les marchés enclavés comme le Tchad ou la Centrafrique à l’océan Atlantique. Cette situation géographique lui offre une opportunité unique de devenir un point d’ancrage des flux commerciaux régionaux. Si les coûts logistiques en Afrique centrale demeurent élevés, comme l’a souligné un rapport de la Banque mondiale en 2023, Libreville entend contribuer à inverser cette tendance par une stratégie combinant modernisation des infrastructures physiques et amélioration de la gouvernance logistique. Ces réformes pourraient fluidifier les échanges et renforcer l’attractivité industrielle de l’ensemble de la région.

Un autre axe structurant du forum a été la durabilité environnementale, désormais indissociable des ambitions logistiques modernes. Alors que le transport maritime mondial est responsable d’environ 3% des émissions de gaz à effet de serre, l’Afrique souhaite d’ores et déjà anticiper les mutations en cours. Les discussions à Libreville ont mis en lumière plusieurs initiatives concrètes pour verdir les infrastructures portuaires africaines: électrification des terminaux, création de corridors logistiques sobres en carbone, et adoption de normes ISO environnementales. Ce virage vers la soutenabilité est perçu comme un levier de compétitivité à long terme par les états, et un gage de résilience face aux nouvelles exigences du commerce international.

Avec l’édition 2025 de l’Africa Ports Forum, Libreville affirme désormais sa vocation de laboratoire logistique, industriel et financier, au service d’une Afrique centrale plus intégrée, plus compétitive et plus résiliente. La capitale gabonaise entend désormais s’imposer comme un carrefour stratégique, au croisement des ambitions industrielles africaines et des exigences du commerce mondial du 21e siècle. On notera qu’en clôture du forum, plusieurs axes prioritaires ont été identifiés, dont la mise en cohérence des stratégies industrielles et portuaires, la mutualisation régionale des investissements, la montée en compétences des opérateurs publics et privés, et l’adoption d’un cadre harmonisé pour l’aménagement des zones économiques portuaires, avec une ambition claire : faire des ports, de véritables leviers de transformation économique.

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