Le retour de la croissance post-covid montre la corrélation qui existe aujourd’hui entre la compétitivité des économies et le niveau de maturité numérique des marchés. La 4e révolution industrielle sera favorable aux nations qui auront su lancer leur jeunesse sur les autoroutes de l’innovation et des nouvelles technologies. L’émergence des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) et leur domination sur l’économie mondiale ces 20 dernières années ont amené plusieurs pays dans le monde, et notamment en Afrique, à mettre en œuvre des politiques nationales et des outils visant à faire naître et prospérer une véritable économie numérique. Dans cette dynamique, 228 incubateurs ont été créés en France et plus de 200 sur le continent africain au cours des cinq dernières années. Mais en Afrique et dans la sous-région, rares sont les pays qui enregistrent à leur actif un incubateur comme celui que le Gabon a su développer. La Sing accueille de nombreuses startups et propose des services à valeur ajoutée aux entreprises privées, publiques et parapubliques. Son incubateur « Pivot 4.0», 100 % dédié au numérique, soutient la politique de transformation économique du Gouvernement. En baissant les barrières à l’entrée de ce secteur, la Sing accompagne les entrepreneurs, les administrations et les sociétés privées dans leurs projets de transformation digitale. Yannick Ebibie, directeur général, expert en lean management et gestion de projets d’innovation, nous explique comment ce « superhub » a été mis en place, quelles sont les perspectives pour les startups au Gabon et pourquoi il est revenu en terre natale avec cette motivation sans failles de faire émerger des champions de l’innovation dans le vaste domaine du numérique.
PORTRAIT ET PARCOURS Yannick Ebibie
De Philadelphia à Libreville, au service de l’innovation et de l’entrepreneuriat Yannick Ebibie Nze a tout le profil pour pouvoir travailler dans une multinationale ou une grande entreprise cotée en bourse en Europe ou aux USA. Ce jeune Gabonais a pourtant fait le choix de revenir au Gabon après une expérience professionnelle affirmée aux États-Unis et en France. Après de brillantes études universitaires dans l’un des meilleurs programmes en entrepreneuriat des USA, à la J.Fox School of Business de Temple University, et en France au Centre franco-américain de management de Lyon, Yannick Ebibie a travaillé en tant que responsable de programmes pour l’Agence de développement économique de Philadelphie (PIDC). En 2010, il est recruté au Département du commerce de la ville de Philadelphie, dans l’équipe du maire dédiée aux services des entreprises. Son passage sera marqué par la mise en place d’un système de suivi de la performance du service et le pilotage du programme d’appui aux PME de la ville affectées par la crise financière. Fort de cette expérience, en 2012, Yannick décide d’exporter son talent en France pour préparer une expertise en lean management et travailler en tant que consultant, chef de projet GFI pour des éditeurs de codes fiscaux numériques ou encore pour l’Agence du numérique en santé. Pendant cette période, il pilote la mise en place de projets numériques de eSanté à l’échelle de l’Europe et obtient à l’école Centrale de Paris un titre d’expert en génie industriel et services. Repéré en 2013 par le stratège Victor Ndiaye de Performance Group, il rentre au Gabon pour contribuer à la structuration du portefeuille des projets du PSGE et à la mise en place du bureau de coordination du PSGE. Il mènera aussi quelques missions dans le secteur bancaire et l’assurance. C’est en 2014 que Yannick Ebibie participera à la création du premier incubateur privé du Gabon, l’Entreprenarium. Grâce à ces programmes innovants inspirés du Lean Startup de Steve Blank, il va accompagner la création et le développement de plusieurs PME au Gabon, au Rwanda, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Au Gabon, il remportera le premier Grand prix de l’excellence. En 2015, il devient directeur de la stratégie et du marketing à l’Agence nationale de promotion des investissements. Il participera à la refonte et à la mise en place des processus clés de la nouvelle agence. En 2018, il devient directeur général de la Sing. Le meilleur est encore à venir pour ce jeune entrepreneur, spécialiste de la stratégie et de l’excellence opérationnelle. Il est avec beaucoup d’autres jeunes de sa génération le moteur de la nouvelle économie gabonaise et de l’industrie du numérique naissante au Gabon.
Échos de l’Éco : Yannick Ebibie, vous êtes le directeur général de la Sing. Pouvez-vous expliquer clairement à nos lecteurs ce qu’est un incubateur et quelles sont les spécificités d’une startup ?
Un incubateur est une entité privée ou publique qui propose à des porteurs de projets ou à des entreprises des programmes d’appui technique, des espaces de travail, des ressources et des experts spécialisés précisément dans le développement de leurs projets. Les incubateurs peuvent avoir des formats différents en fonction des secteurs visés, des lieux d’implantation, de la maturité des projets acceptés ou des objectifs de leurs promoteurs. L’incubateur s'apparente à un cabinet de conseil en management pour les projets innovants. Nous faisons de la structuration de projet et de l’appui opérationnel à l’exécution de votre modèle économique. Au Gabon, nous avons fait le choix de créer un « superhub », c’est-à-dire une structure qui offre aux acteurs de notre écosystème des programmes d’accélération, d’incubation, des espaces de coworking, des activités communautaires et des produits numériques à valeur ajoutée. Nous sommes donc plus qu’un incubateur, nous sommes la première société de services en innovation du Gabon. Nous avons opté pour un modèle économique privé, avec tout de même une participation financière de l’État au vu des missions d’animation de l’écosystème numérique qui nous ont été confiées dans le cadre du projet eGabon. Une startup est un projet visant à rechercher et exécuter un modèle économique stable et duplicable dans un environnement incertain. C’est un anglicisme qui désigne la phase de démarrage d’une nouvelle activité ou d’un nouveau produit. Bien que le terme startup soit beaucoup associé au numérique, il s’applique à tout projet innovant à fort potentiel de croissance et nécessitant un financement.
Pouvez-vous nous présenter les missions de la Sing SA et ses principaux objectifs ?
La Société d’incubation numérique du Gabon est une société de services en innovation dotée d’un incubateur 100 % dédié au numérique. C’est une société anonyme avec conseil d’administration au capital de 50 millions de F CFA dont le projet prend sa genèse dans le PSGE (Plan stratégique Gabon émergent). L’objectif de ce projet est de doter le Gabon d’un outil lui permettant de créer un écosystème d’acteurs du numérique capitalisant sur l’infrastructure performante déployée depuis 2009. L’État, par le biais du ministère de l’Économie numérique, a soutenu la création de cette société grâce à la signature d’un contrat de partenariat lui déléguant la mission de former 750 personnes en 5 ans et d’accompagner à travers divers programmes 50 startups jusqu’en décembre 2021. Les acteurs privés et parapublics majeurs tels que Bicig, Gabon Telecom, Spin, Solsi, Infracom et GVA ont investi dans ce projet et accompagnent le Gouvernement dans ses politiques de promotion de l’économie numérique. La mission de la Sing est donc de contribuer au renforcement de la compétitivité de l’économie gabonaise grâce aux leviers de l’innovation et des nouvelles technologies. Notre ambition est de faire émerger des champions nationaux dans le secteur du numérique à l’échelle du continent d’ici 2030.
Qui peut prétendre entrer à la Sing? Quelles sont les conditionnalités et les formalités auxquelles les postulants doivent répondre pour être soutenus par la Sing?
La Sing accueille trois types de profils. Tout d'abord, les initiateurs de startups qui ont besoin d’identifier, de structurer et de développer des projets d’entreprises numériques innovantes ou de se faire accompagner par des experts. L’exigence pour bénéficier de cet ensemble de soutiens n’est pas liée à l’âge, mais à la qualité du projet (potentialité et viabilité du modèle économique). Dès réception du projet, qui peut être adressé par voie numérique, permettant ainsi d’ouvrir les portes à l’ensemble des postulants du pays, nos équipes analysent le modèle économique proposé. S’il présente un intérêt, nous suggérons un accompagnement court d’un mois où nous invitons le préposé à entrer dans un programme baptisé « Cohorte Innovation ». Ce programme de 3 à 4 mois propose 200 heures d’appui opérationnel et stratégique et plus de 50 heures de sessions personnalisées avec des experts en Scrum, Lean Startup, Design Thinking, gestion de projet, et financement et comptabilité́ d’entreprise. Ce programme d’assistance technique est ouvert uniquement aux projets portés par au moins deux personnes ayant des profils d’experts sectoriels en marketing et gestion, finance et comptabilité́ et/ou informatique. La priorité́ d’accès au programme sera donnée aux projets à forte composante numérique. Mais les candidats peuvent soumettre un projet « classique » qui, lors de l’accompagnement, sera transformé́ pour y ajouter une solution numérique innovante qui rendra l’entreprise encore plus compétitive. Selon les résultats obtenus à l’issue de ce trimestre, il est alors envisageable d’accéder à un accompagnement de 16 mois et de bénéficier d’une prise de participation de la Sing. Un autre profil peut correspondre avec la Sing : celui des entreprises qui se dirigent vers une transformation digitale. Au Gabon, bon nombre d’entre elles sont leader de leur marché et pourtant, leur chiffre d’affaires décroît. La raison en est simple : il s’agit du manque d’innovation. Je pense à certains secteurs d’activités comme les banques ou les assurances, etc. Elles sont souvent amenées à utiliser des produits exploités en Europe qui ne sont pas « tropicalisables » parce qu’ils ne prennent pas en compte la personnalisation de l’environnement commercial. Notre rôle est de mettre à disposition notre « Digital Factory », un réel laboratoire de technologies avancées composé de développeurs d’horizons divers, afin d’améliorer leur relation clientèle et/ou de transformer leurs process grâce aux nouvelles technologies. S’adapter et implémenter une nouvelle méthodologie de travail a pour objectif de soutenir la compétitivité des économies africaines grâce à l’innovation. Et enfin, nous accompagnons les administrations en leur proposant des solutions numériques avec des modèles économiques innovants qui permettent d’améliorer l’expérience de leurs usagers et d’optimiser leur fonctionnement. Elles jouent un rôle central et ne peuvent être exclues de ce progrès. Elles doivent au contraire faciliter les démarches administratives des usagers en digitalisant leurs services.
Comment la Sing accompagne-t-elle concrètement les multinationales et l’Administration gabonaise ?
La Sing propose une offre de conseil en innovation pour les entreprises et les administrations. Nous mettons à disposition des dirigeants des experts et des startuppers qui aident les entreprises ou les administrations à structurer de nouveaux services ou produits numériques ou à entamer une transformation digitale de ces processus internes et externes. La Sing accompagne également les entreprises qui souhaitent lancer des programmes internes d’innovation ou de la formation continue pour encourager l’intrapreneuriat ou la culture numérique des organisations. Notre digital factory et notre plateforme Gobonus.ga mettent en relation les entreprises et les administrations avec des startuppers agiles et créatifs pour réaliser leurs projets tels que la création d’applications, l’élaboration de tableaux de bord, l’élaboration et la mise en œuvre de plans de transformation digitale. Nous sommes fiers d’annoncer que le talent de nos startuppers et développeurs gabonais est aujourd’hui sollicité en dehors de nos frontières nationales. Enfin, l’incubateur peut également être utilisé comme un tiers lieu de l’innovation. Nos espaces peuvent servir à l’organisation d’événements professionnels en présentiel ou en distanciel.
Pour fournir l’ensemble des services que vous proposez, il est indispensable d’avoir une infrastructure numérique et un écosystème favorable. Le réseau gabonais est-il assez puissant pour répondre à vos attentes ?
Le Gabon est le pays le plus connecté d’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest. Nous disposons d’infrastructures numériques permettant d’embrasser l’ère de la digitalisation les bras ouverts. En effet, depuis 10 ans, le Gouvernement a investi massivement dans le développement d’infrastructures de fibre optique (Backbone National, ACE, CAB). C’est suffisant même si, dans ce domaine, ce n’est jamais assez. Cependant, j’aime à rappeler qu’à l’époque où la société Amazon s’est créée, elle ne disposait pas de la fibre optique. Dans les années 90/95, lorsque Microsoft s’est lancée, ses inventeurs n’avaient pas les outils technologiques que nous utilisons aujourd’hui au Gabon. La Sing est solidement structurée avec des bureaux modernes, des équipements techniques répondant aux besoins, des collaborateurs expérimentés et des mentors. Elle repose sur un modèle économique viable et des clients tels que la Banque mondiale, l’Union européenne ou encore des multinationales telles que Total. Il a fallu deux années pour mettre la Sing sur de bons rails, nous espérons que la prochaine décennie sera dédiée à l’économie numérique.
Sachant que les meilleurs incubateurs du monde connaissent des taux de réussite de l’ordre de 1 %, pouvez-vous nous dire combien des 53 startups que vous avez incubées ont aujourd’hui décollé après seulement deux ans d’activité ?
Oui, en deux ans nous avons réussi à faire décoller des startups dans l’écosystème gabonais. À ce jour, nous avons accompagné 53 startups dont 57 % sont en activité commerciale et 32 % sont formalisées. En 2021, 8 d’entre elles ont levé jusqu’à 162 millions de FCFA de financement auprès d’entreprises privées et d’institutions financières internationales, avec l’appui de l’incubateur. Sans forfanterie, je pense qu’à la Sing, on fait beaucoup avec peu. Les startups que nous accompagnons proposent des services dans divers secteurs stratégiques. Dans celui de l’agriculture, Kanopee propose du miel et ses produits dérivés en ligne tandis qu’Agridis propose l’application Wagui pour mettre en relation les producteurs et les revendeurs de produits agricoles. Dans le domaine de la communication digitale, nous avons accompagné We are digital et NR Pictures, dans celui des transports urbains Webcars pour la création et la mise en réseau sécurisée de groupes de co-voiturage. Je citerai également Pozi, un service de tracking et d’optimisation des flottes de transport, Skoolada, dans le domaine de l’e-éducation, qui permet de trouver des tuteurs en ligne, Gobonus.ga pour l’e-commerce et la mise en relation d’affaires, Transmed pour les soins de santé à domicile, Alpha, services en ligne d’évacuation sanitaire pour l’e-santé. Grâce à de l’intelligence artificielle de base, la startup Gatax (www.gatax.link) numérise le calcul et la déclaration des charges fiscales pour les petites et moyennes entreprises. L’application Orema permet de mieux gérer les paiements et la consommation d’électricité. La startup SINGPay propose un intégrateur de paiement mobile public pour les applications de services publics. Enfin, StopCorruption.ga permet au Gouvernement de récolter et exploiter des statistiques relatives à la lutte contre la corruption. Au-delà des startups incubées, la Sing vient également en appui de startups extérieures à l’incubateur en tant que mentor ou pour la mise en relation. Ainsi des startups telles que Boucles et frisettes (artisanat), NR Pictures (vidéographie) ou Yoboresto (livraison) bénéficient du soutien de l’incubateur. Aujourd’hui, plus de 3 500 personnes ont bénéficié des services de l’incubateur et 45 % des startups passées par la Sing sont toujours en activité deux ans après leur passage dans l’un de nos programmes.
Comment mesure-t-on l’évolution d’une startup ? Son évolution est-elle différente des PME et comment contribue-t-elle à l’économie du pays ?
Les startups ne sont pas des PME en miniature. Elles évoluent en 3 étapes. La première étape consiste en la réalisation d’un produit ou service qui répond de manière unique et spécifique à un besoin. Beaucoup d’entrepreneurs intègrent les incubateurs pour atteindre cette phase où ils passent de l’idée à un produit minimum viable. À la Sing, 79 % des porteurs de projet atteignent cette étape cruciale. La deuxième étape est la validation de la clientèle. À ce stade, la startup vend son produit à plusieurs clients et valide des segments de clients et une technique de vente fiable. Aujourd’hui, 57 % des startups gabonaises que nous accompagnons sont dans cette démarche commerciale. 32 % se sont formalisées et génèrent des recettes. Les startups ont la spécificité d’être très fragiles. 80 % d’entre elles échouent avant leur cinquième anniversaire. À la Sing, 45 % des startups sont toujours en activité deux ans après avoir utilisé nos services. Trois startups ont été nominées « startups à haut potentiel » par l’université de Yale et par des journaux panafricains. En deux ans, la Sing a aidé au moins 19 startups à lever un total de plus de 450 millions de F CFA. Les startups ont besoin de plusieurs séries de financement (fonds propres, aides, subventions) avant d’être rentables ou éligibles à du capital-risque. Lorsqu’elles réussissent, elles peuvent créer des industries entières, générer des profits importants et créer des emplois directs et indirects. Beaucoup n’arrivent pas à percevoir la montée en puissance de ces startups au Gabon, car ils cherchent des entreprises au modèle ancien avec des marchés de rente employant en moins de 2 ans un minimum de 10 personnes et devant gérer des marchés publics de plusieurs millions de F CFA avec l’État. Non, une startup au Gabon est une entreprise de jeunes de moins de 36 ans, employant entre 1 et 5 personnes et générant entre 80 et 100 millions de F CFA sur les trois premières années de son activité, avec une croissance moyenne à 2 chiffres de sa clientèle ou de son chiffre d’affaires. Lorsque ces startups ont un potentiel de 500 millions de chiffre d’affaires sur trois ans avec un produit exportable au moins dans trois pays, nous parlons de « panthères ». Les startups sont moins bling-bling que les PME traditionnelles pour l’instant, mais elles sont plus agiles et résistent mieux aux crises. Elles contribuent à l’économie réelle, comme Transmed par exemple, qui permet d’élargir et d’améliorer l’offre de santé, ou Yoboresto qui permet aux restaurants d’augmenter leurs ventes en offrant des emplois de livreurs aux jeunes sous-formés. Gatax permet d’élargir l’assiette fiscale et d’optimiser le paiement des impôts. Ekena permet aux voyageurs par bateau de gagner du temps pour se rendre à Port-Gentil tandis que la startup Alpha permet aux Gabonais de réduire leurs dépenses lors d’évacuations sanitaires non prises en charge par la Cnamgs. Les startups gabonaises décollent et dans 5ans, elles commenceront à s’exporter de plus en plus.
La Sing collabore-t-elle avec d’autres acteurs de l’écosystème, notamment l'Office national de l’emploi, l’incubateur JA Gabon ou même la Chambre de commerce du Gabon ?
Oui puisque nous avons appuyé l’ONE dans un programme appelé le Prodece qui vise à accompagner des entrepreneurs. Quatre cents entrepreneurs en herbe répartis entre Libreville, Port-Gentil et Franceville ont été initiés par nos services. Quant à JA Gabon, c’est un incubateur qui s’adresse à une cible différente de la nôtre, notamment à des jeunes désireux de découvrir le monde de l’entrepreneuriat. Nous avons collaboré en échangeant des outils de suivi opérationnel et nos méthodologies d’accompagnement s’appuyant sur le Lean Startup et le Design Thinking. Aujourd’hui, la Sing est l’incubateur qui collabore le plus avec les autres structures d’accompagne[1]ment. La Sing a mis au point une solution innovante de financement pour les startups en amorçage, pourriez-vous en dire davantage ? Comment les startups peuvent-elles bénéficier de ces financements ? Nous avons constaté que les institutions financières ne proposent pas de solutions de financement adaptées à la fragilité et aux risques inhérents au développement de projets innovants et disruptifs. La Sing a donc élaboré, avec l’appui du projet eGabon et le cabinet Deloitte, un contrat de financement alternatif adapté au cadre de l’Ohada pour permettre de financer les PME non pas en numéraire, mais en valorisation de services et produits fournis en nature pour réduire les charges d’exploitation de la startup en phase d’amorçage. En effet, les startups dépensent près de 50 % de leurs fonds de démarrage à l’acquisition d’équipements, de serveurs, de bureaux, de fournitures et d’expertise. Ces dépenses peuvent freiner leur croissance. C’est pour cela que la Sing, en échange d’une participation (pouvant aller jusqu’à 20 %), prend en charge les charges d’exploitation et une partie des dépenses en investissement des startups dans le cadre de son programme d’accélération. La Sing a ainsi permis à 50 startups de bénéficier d’une valeur de 10 à 25 millions de F CFA d’appui sous forme de frais de développement, honoraires d’experts, location de bureaux et d’équipements, communication et dépenses commerciales. Par ailleurs, grâce à son programme pour les PME, le Bootcamp Stratégique, ou grâce à son programme d’accélération personnalisé, la Sing fournit des services et des outils de préparation à la levée de fonds. Nous permettons à la startup d’identifier la méthode de financement adaptée à sa maturité et nous lui permettons d’avoir tous les outils de gestion qui lui permettront d’obtenir ou de lever les volumes de fonds adéquats. En 2021, la Sing a permis à huit startups de lever 162 millions de F CFA et en 2019, nous avons accompagné dix startups dans la levée de plus de 200 millions auprès d’organismes de microfinance et de bailleurs de fonds. Après leurs passages à la Sing, les startuppers sont préparés, ils peuvent rencontrer des banquiers ou des business angels et s’appuyer sur des résultats vérifiables, nécessaires à l’obtention d’un prêt éventuel. Nous structurons leurs stratégies et plans de financements. À travers SING Capital, Sing propose le premier catalogue d’offres de financements alternatifs au Gabon, permettant aux particuliers de monter leur entreprise autrement qu’à l’aide d’un prêt bancaire.
Votre vision est de faire émerger des champions nationaux dans le secteur numérique à l’échelle du continent d’ici 2030. Où en êtes-vous ?
Deux ans après notre lancement, nous pouvons considérer que nous sommes en bonne voie pour réaliser cette vision. En effet, nous avons proposé des services à valeur ajoutée à une dizaine d’entreprises locales et internationales, nous continuons de mobiliser des ressources grâce à un chiffre d’affaires en constante croissance depuis 2018 (85 % en moyenne) et des startups qui obtiennent des résultats concrets (4 panthères à fort potentiel sont aujourd’hui déployées sur le marché). Il faut toutefois noter que le partenariat avec le ministère de l’Économie numérique est vital et doit continuer pour permettre un impact plus large et plus rapide. Aujourd’hui, nous continuons de travailler avec le ministre d’État Edgard Anicet Mboumbou Miyakou pour assurer la pérennité de l’appui aux startuppers au-delà du projet eGabon. Il sera nécessaire que la Sing continue de renforcer son offre auprès de ces différentes cibles et que les acteurs privés contribuent davantage financièrement à la stabilisation du modèle économique de la Sing. Les startups et l’économie gabonaise ont besoin d’un tel outil pour maintenir la dynamique en cours dans l’écosystème numérique du Gabon.
Dans le PAT (Plan de transformation de l’économie), la Sing est mentionnée comme l’un des résultats palpables de la politique numérique du Gabon. Comment la Sing peut-elle aujourd’hui contribuer aux objectifs du PAT ?
Les objectifs du PAT sur l’économie numérique sont clairs. Le Gabon doit améliorer sa maturité numérique en accélérant le processus de eGouvernement et en encourageant l’utilisation du numérique dans nos entreprises et dans les petits commerces. Cet objectif sera atteint si l’Administration parvient à proposer aux usagers des solutions adaptées grâce à une meilleure connaissance de ces besoins, et si les entreprises comprennent mieux leur environnement concurrentiel grâce à une meilleure information économique. Ceci est possible d’une part grâce à une administration plus connectée, plus intégrée, plus ouverte, et d’autre part, par des entreprises ouvertes qui collaborent plus facilement avec les startups à qui elles fournissent les données nécessaires pour compléter leurs offres de services actuelles. La Sing contribuera au PAT en faisant la promotion du «Smart Gov». À la différence du eGov, le SmartGov ne se focalise pas uniquement sur l’informatisation et l’installation d’infrastructures physiques dans l’administration. Avec le SmartGov, il s’agit d’utiliser des solutions numériques pour améliorer les échanges d’informations, faciliter le parcours de l’usager, l’impliquer directement dans l’amélioration du service rendu. La Sing veut introduire plus d’intelligence artificielle pour accélérer la détection de lourdeurs administratives et le traitement de dossier. Elle souhaite utiliser la réalité augmentée pour faciliter l’orientation des personnes âgées ou des personnes peu éduquées dans les administrations. Elle veut utiliser les téléservices pour réduire les coûts de construction des centres administratifs à l’intérieur du pays et accélérer la décentralisation de l’administration. Enfin, la Sing met en service SINGPay, intégrateur public de paiement mobile, pour optimiser et sécuriser la collecte des recettes de l’État. La Sing contribuera également à la promotion de l’Open Data ou la donnée ouverte en français. La Sing souhaite la mise en place d’un centre « Gabon Data » qui aura pour mission de collecter les données produites par l’Administration et le secteur privé et d’ensuite les stocker, les traiter et les valoriser. Ce centre organisera le marché de la donnée sur le plan national et s’assurera de la place du Gabon dans le partage et le marché global de la donnée. Aujourd’hui, la Sing a trouvé sa place dans l’écosystème du numérique aux côtés de la Spin, de l’Aninf et de l’Arcep. Elle permet aux startups locales et aux entreprises de contribuer plus activement à la transition numérique de l’administration et du secteur privé. La Sing permet d’accélérer la mise en œuvre d’une administration plus intelligente avec des solutions plus centrées sur les usagers et avec une agilité qui permet un déploiement léger (sans infrastructure lourde) grâce aux services cloud. Ces solutions sont proposées à un coût soutenable pour l’État, avec des modèles économiques innovants tels que le paiement à l’utilisation ou en mode services SaaS.
Seriez-vous favorable à la mise en place d’une loi sur les startups au Gabon, comme c’est le cas en Tunisie ou Sénégal ?
Nous sommes favorables à une loi plus globale sur l’innovation et la compétitivité numérique semblable au «Endless Frontier Act» américain ou à la loi Allègre en France. Une loi Tech241 sur l’innovation qui irait plus loin que le «startup act» tunisien dans la mesure où au Gabon, la loi sur les PME offre déjà un certain nombre d’avantages aux entreprises naissantes. Cette loi doit avoir pour but premier d’assurer le leadership et la souveraineté du Gabon sur le numérique et les nouvelles technologies stratégiques dans la sous-région et le continent. Cette loi sur l’innovation et la souveraineté numérique doit permettre de garantir aux startups locales un engagement et un soutien de l’État dans l’acquisition et le développement de technologies stratégiques, notamment en matière de souveraineté numérique, de commerce et de sécurité. Cette loi doit permettre de doter le Gabon d’un index sur les startups (TechG20) afin de les labéliser et de leur apporter un soutien fiscal et logistique dans les cinq premières années de leur développement. La loi doit prévoir des ressources pour la mise en place d’un fonds pour le développement et l’inclusion numérique. La loi définira également des zones d’investissement technologique prioritaires pour créer des parcs technologiques dans les zones en transition industrielle. Enfin, elle permettra de cadrer et faire la promotion de l’innovation ouverte, de la donnée ouverte, et d’encourager les entreprises et multinationales à faire de la recherche et du développement au Gabon.
Quels sont encore les freins à lever pour renforcer les fondements de l’économie numérique au Gabon ?
Oui, il existe encore quelques freins au développement d’une nouvelle économie au Gabon. D’abord, le sous-financement des programmes d’appui des incubateurs numériques. Dans l’écosystème des incubateurs mondiaux, les pays les plus performants se caractérisent par un soutien financier continu (en moyenne 10 ans) de l’Administration ou du Gouvernement aux incubateurs numériques. C’est le cas du Rwanda dont le KLAB est financé par la Présidence et des bailleurs depuis au moins 10 ans, ou encore aux USA avec la SBA (small business administration) qui finance depuis 27 ans divers programmes au sein d’incubateurs publics et privés. La Sing a développé un modèle économique public-privé qui permet aux startups incubées de s’autofinancer à partir de prestions offertes aux grandes entreprises privées locales et internationales ainsi qu’àux administrations. Je pense que cette démarche devrait être soutenue par les politiques numériques à venir encore au moins pour les cinq prochaines années. Ensuite, il y a le frein de la sous-utilisation des ressources locales pour régler des problématiques de transformation digitale. Dans la Stratégie nationale de digitalisation des services publics, les marchés proposés n’exigent pas une implication minimum des acteurs locaux (local content), ce qui laisse nos ressources humaines bien formées, mais peu expérimentées. Moins de 10 % des projets de transformation digitale des entreprises privées ou des administrations sont attribués à des startups ou des sociétés informatiques locales. Il y a également le frein lié aux difficultés d’accès aux équipements et aux plateformes numériques mondialisées (paypal, playstore, amazone, service cloud, etc.) et à la position dominante des géants de la télécommunication qui rend l’accès aux paiements mobiles difficile et freine la création et la croissance de startups numériques. Enfin, il faut développer une offre de formation compétitive dans le domaine numérique à destination de la jeunesse gabonaise, par le renforcement de l’alphabétisation numérique dans les établissements scolaires, la promotion de l’accès à internet et aux plateformes d’e-learning obligatoires dans les établissements scolaires du pays, reformer le modèle économique de l’IAI (Institut africain d’informatique) et mettre en place un centre professionnel dédié au numérique.
Yannick Ebibie, vous êtes le directeur général de la Sing. Vous avez le profil pour travailler dans des multinationales européennes ou américaines. Pourquoi avoir pris le risque de vous lancer dans une aventure entrepreneuriale ? Dites-nous quel a été votre parcours jusqu’à la création de la Sing SA ?
Je suis entrepreneur de formation. J’aime et j’ai été formé et préparé à prendre des risques calculés, innover et bâtir des solutions. J’aimerais pouvoir démontrer avec la Sing qu’il est possible qu’un partenariat entre l’État et le secteur privé aboutisse au Gabon à une solution innovante qui nous sera enviée sur tout le continent et, pourquoi pas, dans le monde entier. Je suis déjà heureux de constater que plusieurs pays en Europe et en Afrique s’intéressent au modèle de la Sing et admettent qu’aujourd’hui nous sommes aux meilleurs standards de ce qui se fait mondialement pour le soutien des startups. La réussite de la Sing sera la réussite du système éducatif gabonais qui m’a formé et qui m’a permis d’avoir les capacités de tirer profit de mon expérience à l’étranger au sein d’incubateurs américains, d’administrations ou d’agences du numérique de la santé en France. J’ai donc eu envie de revenir et de partager ce savoir-faire acquis avec mon pays et faire ici ce que beaucoup pensent impossible ou trop compliqué à réaliser. Le meilleur des activismes pour la jeunesse, c’est cet activisme qui agit et qui ne perd pas de temps à trop se plaindre ou attendre que les solutions viennent d’ailleurs. Nous tenons à remercier également les plus hautes autorités qui ont eu la vision pour lancer cette initiative, le ministre d’État qui soutient la Sing avec force afin que chaque acteur puisse tenir ses engagements, et les administrateurs privés qui orientent notre jeune équipe. Oui, je ne pourrais pas terminer cette interview sans mentionner et féliciter la jeune équipe de la Sing. Une équipe de jeunes dynamiques, des startuppers dans l’âme qui s’améliorent au quotidien pour faire de la Sing une entité autonome et de référence dans l’appui aux startups et au développement de solutions digitales pour les entreprises. Je suis très fier de ces jeunes Gabonais, formés au Gabon pour la plupart, avec une perspective globale et une conscience professionnelle admirable.
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