Échos de l’Éco : Mesdames, quelle route avez-vous empruntée pour en arriver là où vous êtes ? Avez-vous suivi une destinée, un fil rouge, est-ce un hasard, étiez-vous animées par la passion, aviez-vous un plan de carrière défini ?
Marianne Tigoe Okias : J’ai grandi à Libreville où j’ai passé mon baccalauréat. Ensuite, j’ai eu la chance de pouvoir faire mes études à Paris puis à Chicago. Je rêvais d’études en hôtellerie, mais mes parents m’ont conseillé de faire une formation plus généraliste en management afin de pouvoir rebondir dans un autre secteur d’activité si je ne parvenais pas à trouver mon bonheur dans l’hôtellerie-restauration. Résultat : après des études en management et relations internationales, quelques années à la mission économique de l’ambassade de France aux États-Unis, je m’épanouis et dirige des restaurants et un bar à Libreville !
Danièle Biwaou : Tout d’abord, je tiens à remercier le journal économique les Échos de l’Éco de m’avoir donné cette tribune. Je rêvais d’être banquière, mais mon destin m’a conduite ailleurs… J’ai fait des études de commerce et suis titulaire d’une maîtrise en administration des affaires. Mon diplôme en main, j’ai passé plus d’une année à la recherche d’une première expérience professionnelle. En décembre 2005, après une année d’expérience en tant que chargée de clientèle au sein d’une PME spécialisée dans la fourniture de solutions VSAT, j’ai saisi une opportunité au service économique de l’ambassade de France au Gabon où j’ai été recrutée pour trois mois comme « concours temporaire » pour l’organisation d’un colloque sur les NTIC. Par la suite, en mars 2006, j’ai été recrutée en CDI en tant qu’attachée sectorielle, puis attachée commerciale, puis représentante de l’antenne Ubifrance, devenu Business France, au sein du même service. Fin 2012, j’ai rejoint la Chambre de commerce du Gabon en tant que chef de service Appui aux entreprises, puis chef de service Relations internationales et Partenariats. Depuis novembre 2017, j’occupe le poste de directeur général et devient la première femme à ce poste dans cette institution.
Rachel Ebaneth : J’ai débuté ma carrière professionnelle en 1989 à la présidence de la République, au cabinet du haut représentant personnel du chef de l’État, Monsieur Ali Bongo Ondimba. En 1991, j’ai été affectée à l’ambassade du Gabon au Canada. En 1996, j’ai réintégré la Présidence au cabinet du président de la République en qualité de conseiller. En 2014, je suis nommée au ministère du Commerce, des PME et de l’Artisanat où j’occupe successivement les fonctions de secrétaire générale adjoint 2, adjoint 1 puis secrétaire générale pendant 6 ans, avec notamment pour mission l’organisation du forum international de l’Agoa en 2015. Depuis la fin de ma fonction de SG, je me consacre à la coordination du projet de création de la Chambre nationale des Métiers de l’Artisanat qui, du reste, est en voie de finalisation.
Emrie Mondos : Je vous remercie pour cette interview qui vient mettre en exergue des femmes gabonaises qui se distinguent au quotidien pour faire bouger les lignes à travers les activités qu’elles conduisent et ainsi apporter une pierre à l’édifice dans le cadre du développement du pays. Mon parcours est atypique, je n’ai pas suivi une destinée, ou une passion. Je suis arrivée là au fil du travail accompli et des orientations prises. J’ai fait mes études secondaires à Libreville respectivement au Lycée d’application de l’ENS et au Lycée technique national Omar Bongo Ondimba où j’ai obtenu mon BAC G2 (comptabilité et gestion d’entreprises). Toutes mes études supérieures ont été passées en école de commerce. Après mon Bac j’ai intégré l’École des cadres de Lomé, au Togo, ou j’ai obtenu mon BTS en comptabilité et gestion d’entreprise. J’ai travaillé un 1 an au ACG, actuellement Ascoma, en tant qu’assistante de recouvrement. Ensuite, j’ai repris mes études l’année suivante, car je ne m’inscrivais pas dans la logique qui était très forte dans les années 2 000, ou après le BTS tu entres dans la vie active. J’étais animée par une volonté d’aller plus loin. De plus, je voulais faire une carrière dans les métiers de la finance. J’ai entamé mes recherches vers la France et mon dossier a été accepté à l’ESC Brest, maintenant Brest Business School. J’ai suivi le programme école qui, à l’issue de trois ans, permet d’obtenir le diplôme de Master 2. Pour ma part, j’ai obtenu mon Master 2 option finance. J’ai effectué une année supplémentaire pour passer le mastère spécialisé en finance de marché. Mes études terminées, j’ai commencé à chercher un premier emploi dans des sociétés de gestion à Paris ou en salle de marché, car je voulais faire carrière dans la finance de marché, travailler dans les salles de marché. Malheureusement la crise des marchés financiers de 2008, dite crise des subprimes, n’a pas été favorable. Plutôt que de poursuivre ma recherche dans la finance de marché, sur le conseil de mon supérieur hiérarchique dans la société de gestion ou j’ai travaillé, je me suis orientée vers l’audit. C’était le domaine qui recrutait les jeunes diplômés pendant la crise. De plus, il offrait la possibilité d’intervenir dans divers secteurs, notamment les marchés financiers, dans le cadre des missions. J’y voyais un tremplin, car je ne m’éloignais pas de mon projet professionnel. Alors je suis arrivée en audit avec un objectif d’effectuer des missions dans des sociétés de gestion, des sociétés cotées. J’ai rejoint le cabinet Deloitte Gabon où j’ai embrassé le métier d’auditeur. Ce métier m’a séduite. Rien ne me prédestinait à ce que je fais aujourd’hui au regard de mon projet professionnel. Je suis tombée dans la soupe comme Obélix. Je suis rentrée dans un univers, j’ai cherché à bien faire mon travail et cela m’a conduite à développer une passion. Aujourd’hui, j’essaie d’apporter ma modeste contribution pour un déploiement correct des activités d’audit et de contrôle internes.
Quels ont été les pires difficultés que vous ayez surmontées ?
MTO : Mon arrivée dans le milieu de la restauration finalement plutôt fermé et très masculin a été ponctué de quelques déconvenues. Du haut de mes 26 ans, il a été complexe de prendre ma place en tant que patronne, car je devais conduire une équipe d’hommes matures bien plus expérimentés que moi. J’ai donc dû faire mes preuves, montrer mon sérieux dans ce métier qui n’était pas le mien. À force de travail, j’ai réussi à m’imposer en tant que patronne et également en tant que professionnelle du métier de la restauration. La pandémie de Covid-19 est la pire difficulté que j’ai eu à surmonter sans avoir aucun contrôle dessus. Elle m’a obligée à fermer deux établissements sur les trois que je dirige. J’ai dû licencier la moitié de mon personnel. J’ai dû repenser l’activité que j’ai pu maintenir ouverte pour éviter qu’elle s’effondre et pour maintenir les emplois. Depuis le 13 mars 2020, date à laquelle nous avons dû fermer nos établissements une première fois, chaque jour est un défi. Se réinventer, gérer une crise devenue permanente et composer avec les contraintes imposées par la Covid-19 nécessitent des remises en question permanentes et des réflexions incessante.
DB : Ayant fait l’objet d’un recrutement en interne pour le poste de directeur général, il fallait que je m’adapte rapidement, ce qui n’a pas été sans difficultés. Cependant il fallait affronter ces montagnes et parvenir à les contourner, gérer aussi les nouveaux rapports avec les collègues de travail devenus collaborateurs. Les tensions de trésorerie de l’Institution ont malheureusement conduit à une grève du personnel qui l’a paralysée. Ce fut mon baptême de feu durant ces trois semaines de grève où, fort heureusement, j’ai pu, grâce au concours du président de l’Institution et celui des ministres de tutelle, trouver des solutions d’urgence. Sur le plan personnel, j’ai dû mettre ma vie familiale entre parenthèses le temps de trouver un équilibre qui me permette de concilier mes différentes activités professionnelles et personnelles. Aujourd’hui je m’en sors mieux, je peux enfin trouver davantage de temps pour les miens sans que cela n’interfère sur mes activités professionnelles.
RE : Chaque étape du parcours que je viens de décrire ci-dessus a été marqué par des défis qu’il a fallu relever. Plutôt que des défis, c’était une exigence permanente de rigueur, de discipline et de disponibilité lors des transitions professionnelles. Chacune de ces étapes a été pour moi une nouvelle école, un terrain d’expérimentation de ma capacité d’adaptation, de ma combativité ainsi que de ma volonté de servir mon pays et mes concitoyens. Autant d’éléments capitalisés qui constituent aujourd’hui des acquis professionnels.
EM : L’audit interne est un métier qui malheureusement fait face encore à un milieu assez hostile bien que son importance et son utilité ne soient plus à démontrer. Il y a une cohabitation entre la mauvaise perception de l’audit, l’incompréhension, la méconnaissance du métier et de ces activités ainsi que les professionnels en manque d’outils. Il faut pourvoir lever ces zones d’ombre et en tant femme, il faut s’imposer deux fois plus. La communication, la pédagogie, la sensibilisation, la formation, sont des moyens pour faire passer un message et avoir l’attention des hauts organes de direction et des opérationnels, car parfois les informations communiquées sont à la limite renvoyées d’un revers de la main. Mettre en pratique ces moyens n’est pas aussi simple, il faut aussi ajouter une touche de ténacité et d’amour pour faire converger les aprioris vers une adhésion et une compréhension du métier.
Quel conseil donnez-vous aux jeunes filles pour qu’elles ne baissent pas les bras ?
MTO : Dans le monde professionnel, vos compétences et votre force de travail vous définissent. Pas le fait d’être une femme. Pas le fait d’être noire, blanche, ou métisse. Concentrez-vous sur votre métier et vos objectifs. Formez-vous, dédiez-vous pleinement à votre travail, ne cessez jamais de vous réinventer. Sachez manier rigueur et douceur. Ayez une bonne dose de capacité de résilience !
DB : La vie est un combat perpétuel. Baisser les bras signifie que vous avez choisi de perdre. J’encourage donc ces jeunes filles à aller toujours de l’avant. Les échecs et les difficultés font partie du jeu pour atteindre le succès, alors il ne faut pas avoir honte de recommencer encore et encore.
RE : Il faut dire aux jeunes filles que la persévérance et l’ardeur au travail paient. Il est indispensable d’avoir conscience du potentiel réel qui sommeille en chacune. Cela constitue une opportunité de se découvrir et d’affûter ses armes pour atteindre certains objectifs dans un monde où la formation des filles contribue à leur autonomisation par l’entrepreneuriat et partant, leur insertion harmonieuse dans notre société où le fonctionnariat est en net recul. Face aux difficultés, qu’elles ne baissent pas les bras, mais aillent toujours de l’avant pour explorer de nouveaux créneaux. « Mieux vaut commencer par la souffrance et finir par le bonheur », comme dirait ma mère. Cela signifie simplement que derrière les difficultés se cache la satisfaction.
EM : Je dirai aux jeunes filles de croire en elles, croire en ce qu’elles font, d’aimer leur travail, être à l’écoute de leur environnement et de s’avoir s’adapter, de travailler et se former en continu, et enfin, de positiver.
Comment avez-vous adapté votre vie de femme en la conciliant à votre vie professionnelle ?
MTO : Tout est question d’organisation. J’ai choisi un métier dans lequel nous travaillons le soir, le week-end et les jours fériés. Il est coutume de dire que nous travaillons lorsque les autres s’amusent ! J’ai formé mon personnel et mes collaborateurs directs. J’ai appris à faire confiance pour pouvoir déléguer et laisser les clés de mes entreprises à mes équipes lorsque je souhaite prendre du temps pour ma famille et moi-même.
DB : J’ai toujours été mobilisée à 100 % lorsqu’il s’agissait de travailler, mais cela ne m’a pas empêchée de mener une vie normale. Cependant, durant les deux premières années à ce poste à hautes responsabilités, j’ai dû, comme mentionné plus haut, faire le choix, sans vouloir être carriériste, de mettre ma vie personnelle de côté au profit de mon travail. Je ne voulais surtout pas décevoir les personnes qui m’avaient fait confiance en me portant à ce poste. J’avais besoin d’un temps d’adaptation me permettant de cerner le poste et les responsabilités qui en découlaient. Je me souviens que je partais toujours la dernière et tard du bureau tout en ramenant toujours du travail à la maison. Lorsque je rentrais, toute ma maison dormait et je trouvais même parfois le courage de rouvrir mon ordinateur. Ensuite je me suis organisée autrement, et aujourd’hui je fais la part des choses et m’accorde du temps ainsi qu’à mes proches. Bien que la notion de sacrifice soit permanente, il est primordial de trouver la meilleure combinaison pour concilier vie familiale et vie professionnelle.
RE : J’ai pour habitude de privilégier l’essentiel, suivant qu’il s’agit de mon foyer ou de ma carrière, et de m’entourer de personnes fiables et capables de concourir à l’atteinte de mes objectifs professionnels et familiaux. En ma qualité de mère, je m’efforce en permanence de faire en sorte que mes activités professionnelles et familiales n’entrent pas en contradiction. Quand cela survient, je fais des arbitrages qui tiennent compte de l’avis et des intérêts de mes proches. Cela m’oblige à anticiper et à mieux gérer le stress. Chaque épreuve a forgé mon caractère.
EM : C’est un gros chalenge pour la femme et ce n’est pas facile, car il faut pouvoir trouver un juste milieu. L’organisation et la délégation me semblent le couplé gagnant.
Ce serait à refaire, que changeriez-vous ?
MTO : Rien du tout ! Mon parcours m’a permis d’acquérir une ouverture, une curiosité et une rigueur qui me servent au quotidien dans ma vie personnelle et professionnelle.
DB : Mon style de management. J’opterais volontiers pour un mix entre les styles « paternaliste », participatif et autoritaire, avec des pourcentages respectifs de 30 %, 40 % et 30 %.
RE : Quand je regarde ma vie de manière rétrospective, les difficultés et les victoires engrangées, pas grand-chose.
EM : Rien !
Anne-Marie JOBIN : Je me permets une analyse rapide. Aucune de ces dames n’évoque le féminisme. Ce qui nous renvoie à l’image de la femme qui s’épanouit en tant que telle, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Vivre leur vie et apprécier leur condition de femme font de ces mamans, de ces épouses, des battantes, des indépendantes, des actrices du paysage économique gabonais. Leur énergie et leur sourire sont offerts aux femmes qui sont dans la peine, qui souffrent de maladie ou de déprime. Bravo Mesdames
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