GABON :POUR UNE INDUSTRIALISATION INNOVANTE ET PROGRESSIVE
Les autorités gabonaises affichent une volonté marquée d’engager le pays sur la voie d’une industrialisation durable. Cette ambition se manifeste à travers des réformes structurelles majeures comme l’interdiction de l’exportation de grumes (2010), la création de zones économiques spéciales (ZES), l’adoption du Plan d’accélération de la transformation (PAT 2021–2023) remplacé en juillet 2023 par le Plan national de développement pour la transition (PNDT).
Le Gabon cherche à sortir du piège de la dépendance pétrolière en misant sur une diversification dynamique vers des filières à plus forte valeur ajoutée, comme l’agro-industrie, le numérique ou la pharmacie. Cette transition économique ambitieuse s’accompagne de défis structurants à relever : réduction de coûts logistiques, développement de compétences techniques, modernisation des infrastructures énergétiques notamment. Des leviers prometteurs existent. Selon les données gouvernementales, seuls 6% des diplômés de l’enseignement supérieur se dirigent vers les métiers industriels. Une réforme de la formation pourrait donc activer ce potentiel, d’autant que les instruments structurants actuellement mis en œuvre pourraient s’y appuyer.
Les zones économiques spéciales : leviers de transformation industrielle
Parmi les outils structurants établis, on trouve la zone économique spéciale (ZES) de Nkok. Établie en 2011, cette plateforme industrielle intégrée abrite désormais plus de 80 entreprises de 17 nationalités différentes. La ZES couvre une superficie de 1 126 hectares et se divise en trois secteurs : le bois, le secteur multisectoriel et la chimie-pharmacie. En 2023, elle représentait 60 % des exportations industrielles du pays, avec une transformation locale de 100 % du bois exploité, en conformité avec l’interdiction de l’exportation de grumes. Labellisée « meilleure zone économique spéciale d’Afrique » par le Financial Times en 2021, Nkok se distingue par son guichet unique, ses incitations fiscales et son raccordement aux infrastructures routières et portuaires.
La zone a fortement contribué à faire évoluer l’image du Gabon à l’international, en tant que pays capable de structurer une politique industrielle cohérente, axée sur la transformation locale, la compétitivité et l’exportation. Elle a permis de créer plus de 4 000 emplois directs et d’attirer des capitaux étrangers tout en stimulant l’essor de filières connexes comme la logistique, l’emballage ou la maintenance industrielle. Nkok est ainsi devenue une vitrine du volontarisme économique gabonais et un modèle de référence pour les futures zones économiques du pays. À moyen terme, le développement de deux autres ZES à Ikolo (province de la Ngounié) et à Mandji (Ogooué-Maritime) vise à déconcentrer l’appareil industriel et à ancrer l’activité productrice dans les territoires.
La dynamique enclenchée à Nkok illustre bien comment une volonté politique affirmée alliée à des instruments adaptés peut transformer le paysage économique national. Elle montre également l’importance de penser l’industrialisation dans toutes ses dimensions, y compris environnementales. À cet égard, un autre chantier structurant mérite une attention particulière : la modernisation de la filière de gestion des déchets urbains, incarnée par le projet de Nkoltang.
Le mégaprojet de Nkoltang pour une gestion moderne des déchets dans le Grand Libreville
Le traitement des déchets constitue un autre champ stratégique dans la transition industrielle et écologique du Gabon. Le 21 mai 2025, une réunion interinstitutionnelle présidée par le ministre de l’Environnement, Mays Mouisi, a acté la fermeture progressive de la décharge de Mindoubé, aujourd’hui saturée, et la montée en puissance du centre d’enfouissement technique (CET) temporaire de Nkoltang. Cette infrastructure marque la première étape d’un projet plus vaste : la création d’un centre de traitement et de valorisation des déchets (CTVD).
Ce futur complexe intégrera des unités de tri, de recyclage, d’enfouissement contrôlé et de valorisation énergétique. Il permettra à terme de récupérer une part croissante des déchets ménagers pour les transformer en biogaz ou en matériaux de construction (briques recyclées, pavés plastiques). Selon l’ONU Environnement, la valorisation des déchets pourrait générer 20 à 50 emplois directs par tranche de 10 000 tonnes traitées. C’est énorme !
À titre d’exemple, au Rwanda, le centre de Bugesera traite 120 tonnes/jour et produit du compost agricole utilisé localement. À Durban, l’Afrique du Sud a mis en place un centre de méthanisation qui alimente 3 000 foyers en énergie verte.
Pour le Gabon, le basculement vers Nkoltang constitue donc sans aucun doute une opportunité d’ancrer une filière industrielle verte autour des déchets, créatrice d’emplois, porteuse de savoir-faire, et susceptible d’alimenter l’économie circulaire. La mise en place d’un comité interinstitutionnel chargé du suivi du projet, annoncée lors de la réunion du 21 mai, témoigne du volontarisme gouvernemental. Le défi consistera à assurer un financement pérenne, à mettre en œuvre des mécanismes de collecte efficaces et à mobiliser le secteur privé autour de partenariats public-privé.
L’ensemble de ces initiatives illustre une mutation à la fois progressive et constante du modèle économique gabonais. En combinant industrialisation, innovation technologique et transition écologique, le Gabon cherche à se doter d’un socle productif plus diversifié, résilient et compétitif. À court terme, la réussite de cette transformation dépendra de la montée en gamme des chaînes de valeur existantes (bois, agroalimentaire, minerais), du développement des nouvelles filières (pharmacie, numérique, recyclage) et du renforcement du capital humain.
Les avancées sont réelles : 1 300 mds de F CFA d’investissements industriels mobilisés entre 2019 et 2023 ; 60 % des exportations industrielles issues de la ZES de Nkok ; 15 000 jeunes à former aux métiers techniques d’ici 2030. Mais les défis restent nombreux : coûts logistiques, dépendance énergétique, faible profondeur des marchés locaux. Le Gabon a indéniablement ouvert une voie. Il lui reste désormais à l’élargir, à la stabiliser et à l’orienter vers une industrialisation soutenable, intégrée et inclusive.