ET SI LA CEMAC MISAIT DAVANTAGE SUR SES FORETS ? LE GABON EST L’EXEMPLE A SUIVRE

Quand on parle d’économie en Afrique centrale, il est difficile de ne pas penser au pétrole et aux mines, tant ces géants dominent encore les exportations. Mais à mesure que ces ressources s’épuisent et que les prix fondent sous le coup de la volatilité des marchés financiers mondiaux, un constat se dresse : la région dispose d’autres moteurs de croissance. Dans son baromètre économique de la région Cemac publié en décembre dernier, la Banque mondiale a d’ailleurs appelé les États à « libérer le potentiel du secteur forestier ».

 

Avec plus de 240 millions d’hectares de forêts couvrant le bassin du Congo, soit près de 60  % du territoire régional, la Cemac dispose d’un capital naturel unique. Or ce potentiel reste en grande partie inexploité. Selon l’analyse de la Banque mondiale, le bois pourrait devenir la nouvelle pépite économique de l’Afrique centrale. 

En 2024, la Cemac affiche une croissance estimée à 3,4 %, presque le double de 2023. Un signal encourageant, même si la dynamique reste inégale selon les pays. Comment bâtir une économie plus résiliente face aux fluctuations des matières premières ? La réponse pourrait bien se trouver au cœur du bassin du Congo.

En effet, malgré son immense potentiel, l’industrie forestière représente moins de 5 % du PIB régional. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. D’abord la transformation locale, qui reste encore faible puisque 50 % des exportations se font sous forme de grumes brutes, sauf au Gabon. Ensuite, les infrastructures. Celles-ci restent encore pour le moins limitées, même si de gros efforts sont faits par les États dans ce sens. Routes et ports restent encore inadaptés pour soutenir un secteur industriel du bois compétitif.

 

D’un autre côté, la fiscalité et les réglementations actuelles peinent à attirer des investissements. Pourtant, le marché mondial du bois est en pleine expansion, notamment pour les produits certifiés et durables. L’Afrique centrale pourrait en tirer profit comme l’a clairement démontré la Banque mondiale tout au long de son analyse. Deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie, le bassin du Congo couvre près de 300 millions d’hectares et abrite une biodiversité exceptionnelle. Mais au-delà de son rôle écologique, il représente donc aussi une opportunité économique majeure.

 

Certains pays ont déjà pris conscience de ce potentiel. Le Gabon a interdit l’exportation des grumes brutes en 2010 afin d’encourager la transformation locale. Résultat : une hausse des exportations de produits transformés comme le contreplaqué et les placages ; une augmentation de la valeur ajoutée du secteur forestier ; et davantage d’emplois créés dans la transformation locale. Cependant, dans le reste de la Cemac, l’exportation brute reste la norme. Pourquoi exporter des grumes brutes quand on pourrait produire localement des meubles, des panneaux ou des parquets haut de gamme ? Avec une meilleure transformation, les revenus générés pourraient être multipliés par trois, voire beaucoup plus.

 

Le bois est une ressource renouvelable s’il est géré de manière durable. Cela implique plusieurs paramètres allant de la mise en place de quotas d’exploitation pour éviter la surexploitation à l’encouragement à la reforestation pour compenser les coupes. Une autre initiative pourrait être de favoriser les certifications environnementales (comme FSC) pour garantir des pratiques responsables, démarche que le Gabon a d’ailleurs très bien mise en œuvre au fil des ans. Une meilleure gouvernance globale et des contrôles renforcés permettraient non seulement de protéger les forêts, mais aussi d’augmenter les recettes fiscales.

En effet, selon l’institution de Bretton Woods, « il existe des possibilités d’augmenter les recettes publiques et de promouvoir la production de bois durable grâce à des réformes fiscales. Une option consiste à calibrer les taux d’imposition en fonction de l’impact environnemental des activités de l’industrie du bois afin d’inciter les entreprises à adopter des pratiques durables », la fiscalité restant clairement l’un des leviers les plus efficaces pour dynamiser l’industrie du bois.

 

Actuellement, les taxes sur l’exploitation forestière génèrent des recettes modestes d’environ 1 % des revenus fiscaux totaux et 0,2 % du PIB des pays de la Cemac. Moduler la fiscalité en fonction du niveau de transformation ; taxer davantage l’exportation de grumes et alléger les charges pour les produits finis ; récompenser les entreprises responsables avec des incitations pour celles qui investissent dans la certification et la reforestation ; harmoniser les réglementations régionales pour éviter la concurrence fiscale entre pays et lutter contre les fraudes sont autant de solutions proposées par la Banque mondiale. 

Et si la Cemac devenait un hub du bois durable ?

 

Le bois africain souffre encore d’un déficit d’image sur le marché mondial. Pourtant, avec une stratégie bien pensée, la Cemac pourrait se positionner comme un leader du bois durable. Certains pays asiatiques ont su imposer leurs standards de qualité et leurs labels. Pourquoi pas l’Afrique centrale ? Une telle approche permettrait non seulement de conquérir de nouveaux marchés, mais aussi de justifier des prix plus élevés pour les produits transformés. Des partenariats avec des entreprises européennes et asiatiques pourraient également favoriser le transfert de technologie et le développement de compétences locales. Au fil des ans et des expériences, au Gabon, des entreprises comme Rougier ont su apporter leur pierre à cet édifice. Ce modèle pourrait donc servir de base pour dynamiser ce secteur. 

 

Un autre levier à ne pas négliger est celui des financements internationaux dédiés à la protection des forêts et à la transition écologique. Actuellement, la Cemac reçoit moins d’aide climatique que d’autres régions du monde, alors qu’elle abrite l’un des principaux puits de carbone de la planète. Or attirer plus de financements verts permettrait à la fois de protéger la biodiversité et de stimuler la transformation du bois, de créer des emplois dans les métiers du bois et de la conservation, mais aussi et surtout de renforcer les infrastructures pour faciliter l’exportation des produits transformés.

 

« Libérer le potentiel du secteur forestier » est une voie à ne pas négliger. L’Afrique centrale, et notamment la zone Cemac, a tout à gagner à faire du bois un moteur de croissance durable. Avec des réformes adaptées, la filière pourrait non seulement créer des emplois et générer plus de revenus, mais aussi positionner la région comme un acteur clé du bois durable sur la scène internationale. Le pétrole et les mines ont longtemps été les piliers des économies de la Cemac. Et si l’heure était venue pour le bois ? Avec une stratégie claire et une vision à long terme, comme l’ont suggéré les analystes de la Banque mondiale, la région pourrait transformer ce trésor vert en un levier puissant pour son développement.

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