La coopération bilatérale entre la France et le Gabon est un sujet très souvent évoqué dans les salons. Qualifiée de spéciale, la teneur de cette relation est fondée sur un solide climat de confiance. L’antériorité des différentes collaborations, qu’elles soient d’ordre diplomatique, économique, culturel… n’est pas étrangère à cette complicité. La présence de la France est appuyée aussi par les éléments français au Gabon (EFG), conformément aux accords de défense signés en 1960, confirmés en 2011 et renouvelés en 2019. Autre paramètre marquant : chaque année, la France accueille quelque 3 000 étudiants gabonais (hommes et femmes) dont bon nombre bénéficient d’une bourse d’études pour suivre leur cursus. La contribution de l’Agence française de développement (AFD) est également notable. Cette institution mène des actions qui visent à appuyer techniquement et financièrement la mise en œuvre des politiques sectorielles définies par le gouvernement gabonais. L’AFD intervient dans le développement de 16 secteurs. L'ambassadeur de France en poste depuis le mois d’octobre 2021, Monsieur Alexis Lamek, nous a reçus, a répondu à nos questions et nous a orientés vers les responsables des différents services qui composent l'ambassade.
...Alexis Lamek, ambassadeur de France au Gabon
Portrait
18e ambassadeur de France au Gabon Conseiller des affaires étrangères hors classe (Orient) Né le 25 janvier 1966
Carrière : ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
Formation
QUESTIONS DIPLOMATIQUES
EE : Excellence, Monsieur Alexis Lamek, à la découverte de votre parcours diplomatique, nous observons que l’Afrique est pour vous une destination nouvelle. En effet, vous avez exercé à des niveaux différents en Iran, en Asie et aux Nations unies. Après neuf mois d’exercice en qualité d’ambassadeur en terre africaine, et très précisément au Gabon, quelles sont vos premières analyses ?
J’ai en effet beaucoup travaillé sur les questions multilatérales, en tant que représentant permanent adjoint de la France à l’Onu à New York, puis comme directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au Quai d’Orsay.
Cela dit, à New York, j’avais la responsabilité de dossiers qui concernaient les pays d’Afrique centrale. Je suivais notamment les actions et l’évolution de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), première mission onusienne en termes de moyens et d’effectifs. Mes fonctions m’ont permis d’effectuer plusieurs missions en Afrique centrale, mais également en Afrique de l’Ouest. Le continent africain ne m’est donc pas totalement inconnu.
Après avoir été directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité à Paris, j’ai souhaité à nouveau travailler sur les questions en lien avec l’Afrique, en résidant cette fois-ci pleinement sur le continent. Car j’ai la forte conviction que dans le monde complexe et incertain dans lequel nous évoluons, l’Afrique, dans sa diversité, a un rôle central à jouer. Je pense en particulier au défi climatique qui concerne l’humanité dans son ensemble et face auquel aucune solution durable ne saurait se trouver sans l’Afrique.
J’ai été nommé ambassadeur de France au Gabon en septembre 2021. C’est pour moi un honneur immense au regard des liens historiques et d’amitié entre nos deux pays. Et je sais combien le Gabon compte et comptera dans la résolution des problèmes globaux tels que le réchauffement climatique. Je ne cesserai de mettre toute mon expérience et mon énergie à travailler aux côtés des partenaires gabonais, tant sur le plan bilatéral qu’au niveau multilatéral, le Gabon étant actuellement membre du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies.
Mes premiers mois m’ont permis de pérenniser les actions menées par mon prédécesseur qui n’a eu de cesse d’œuvrer au renforcement de notre relation bilatérale. Ils m’ont également permis de mettre en place de nouveaux partenariats, en particulier dans la promotion de l’égalité femmes-hommes, priorité politique que le Gabon et la France partagent. Travailler à renforcer, diversifier et enrichir notre relation bilatérale et nos partenariats est ma priorité.
Travailler en lien étroit avec le Gabon, membre du Conseil de sécurité des Nations unies pour deux ans, sur des sujets aussi graves que la paix et la sécurité en Afrique et en Europe ou la lutte contre le terrorisme, est mon autre priorité. Ces sujets font partie de nos défis communs que nous continuerons à traiter ensemble aux Nations unies.
Parmi ces défis, je prendrai l’exemple de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie : ce sujet est une des priorités de l’agenda des Nations unies. Les conséquences de l’agression russe, tant sécuritaires qu’humanitaires ou économiques, ne se limitent pas au continent européen : elles nous affectent tous. Sur le plan économique, je sais aussi combien la question de la hausse des prix des biens de consommation de base nous préoccupe, tant en France qu’ici au Gabon.
Face à une insécurité alimentaire extrêmement pénalisante pour plusieurs pays d’Afrique, je sais que la France peut compter sur le Gabon pour encourager des solutions visant à en atténuer les effets à court terme. Parmi celles-ci figure l’initiative Food & Agriculture Resilience mission (Farm) que la France, en sa qualité de présidente du Conseil de l’Union européenne, a promue en mars dernier. Cette initiative vise à assurer la sécurité alimentaire des pays les plus vulnérables par des propositions concrètes, élaborées avec nos partenaires internationaux, notamment l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Programme alimentaire mondial (Pam) et le Fonds international de développement agricole (Fida).
Ces propositions sont organisées selon trois piliers : un pilier commercial, pour apaiser les tensions sur les marchés agricoles ; un pilier de solidarité, pour atténuer rapidement les effets de la guerre en Ukraine, notamment de la baisse potentiellement durable des volumes exportés par l’Ukraine, dont dépendent de nombreux pays d’Afrique ; un pilier visant à développer la production agricole dans les pays les plus concernés. Je n’entrerai pas dans les détails techniques de ces trois piliers, mais souhaite juste rappeler que cette initiative portée par la France vise à accompagner ses partenaires, notamment africains, à traverser cette crise multiforme et mondiale qu’a provoquée l’agression de l’Ukraine par la Russie.
...Présentation de la remise des lettres de créance à la CEEAC
EE : La coopération civile entre la France et le Gabon est dense (éducation, environnement, recherche scientifique, etc.). Comment caractérisez-vous les relations diplomatiques entre la France et le Gabon?
Une relation diplomatique, ce sont des liens politiques faits d’accords et de traités. Ce sont aussi des visites et des rencontres officielles, des partenariats économiques et culturels. Compte tenu de ces critères, notre relation bilatérale est indéniablement étroite.
Mais notre relation va au-delà des liens institutionnels. Il s’agit d’une relation spéciale faite d’une histoire et d’une langue communes, mais aussi d’un lien d’amitié indéfectible entre nos peuples. C’est un lien immatériel qui reste intangible. Il y a ainsi une francophilie indéfectible au sein de la population gabonaise. Il y a aussi un « désir de Gabon » chez les Français, tant chez les expatriés que parmi les opérateurs économiques. Signe de cette proximité, la France et le Gabon comptent un grand nombre de binationaux.
EE : Depuis toujours, le Gabon et la France entretiennent une relation marquée par des échanges qualifiés d’étroits. Quelles en sont les évolutions ?
Les échanges sont de natures différentes : politiques et diplomatiques, mais aussi culturels, universitaires, scientifiques et économiques.
Au niveau politique, des échanges ont lieu régulièrement, en dépit de la pandémie de covid-19 qui a littéralement figé le monde pendant plus d’un an. Ainsi, récemment, le 14 juin, la ministre gabonaise de la Défense nationale, Mme Félicité Ongouori Ngoubili, s’est entretenue avec le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, à Paris ; en avril, M. Hugues Mbadinga Madiya, ministre de la Promotion des investissements, des Partenariats public/privé, chargé de l’amélioration de l’environnement des affaires, a échangé à Paris avec M. Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur. En novembre 2021, nos deux présidents se sont entretenus à l’Élysée. Juste avant, nos deux ministres des Affaires étrangères d’alors s’étaient rencontrés à Paris à deux reprises, en juin et en septembre. En sens inverse, nous avons eu une série inédite de visites au Gabon de parlementaires français : celle de membres du groupe d’amitié France Gabon de l’Assemblée nationale française emmenée par son président M. Jean Terlier, en décembre 2021 ; celle de parlementaires venus participer au Bureau de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) réuni en janvier 2022 à Libreville ; enfin celle d’une délégation conduite par la présidente de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, Mme Françoise Dumas, en février 2022. Enfin, nous attendons la venue au Gabon de Mme Chrysoula Zacharoupoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux. La secrétaire d’État devrait participer à la 19e réunion des parties du Partenariat pour les forêts du bassin du Congo (PFBC) qui se tiendra à Libreville du 5 au 8 juillet ainsi qu’à des événements prévus par la mission économique de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) attendue dans la capitale du 6 au 8 juillet.
EE : Est-ce la pandémie de covid-19 qui justifie que nous n’ayons pas accueilli d’autorités d’État français depuis janvier 2020, date de la visite de Monsieur Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ?
C’est en effet cette pandémie inédite qui a figé le monde pendant plus d’un an qui a rendu tous déplacements compliqués. Mais les visites reprennent progressivement et sûrement, comme en témoignent les exemples que j’ai donnés, et j’ai bon espoir que la dynamique se poursuive. La venue attendue de Mme Chrysoula Zacharoupoulou est une illustration de cette reprise.
Au-delà des visites et des rencontres ministérielles, nos relations de haut niveau n’ont jamais cessé, même au plus fort de la crise sanitaire : mon prédécesseur et moi-même, de même que l’ambassadrice du Gabon en France, Mme Liliane Massala, ne cessons d’être en contact avec les plus hautes autorités de nos pays d’affectation respectifs.
...Photo solidarité Ukraine
EE : Quelles sont les festivités inscrites au programme de la fête du 14 juillet ?
La crise sanitaire ne nous a pas permis d’organiser la fête du 14 juillet en présentiel ces deux dernières années. Malgré les circonstances, nous avions à cœur de célébrer notre fête nationale, car c’est un moment important d’union autour des principes de la République, en premier lieu desquels figurent la fraternité et la solidarité.
Ces notions n’ont jamais eu autant de sens qu’en temps de pandémie. Il était donc important pour nous, dans ce contexte, d’être symboliquement présents aux côtés des Français et des Gabonais pour qui ces principes ne sont pas que de vains mots. Nous avons été amenés à faire preuve d’imagination en organisant en 2020 un quizz musical célébrant la chanson française et en 2021 un concours artistique autour de la figure de la Marianne.
Ces événements ont rencontré un joli succès comme en témoigne la forte participation tant des Français que des Gabonais.
Cette année, les mesures préventives ont été levées. Nous serons donc en mesure d’organiser une cérémonie en présentiel, mais elle sera limitée, notamment en nombre de convives. Le risque sanitaire – toujours présent –, mais également la situation internationale très incertaine, nous invitent à célébrer notre fête nationale sous le sceau de la sobriété.
EE : À quelle date la remise des clés de la nouvelle ambassade de France est-elle prévue ?
J’ai bon espoir qu’elle intervienne d’ici la fin de l’année. Je suis particulièrement fier à l’idée d’inaugurer le nouveau bâtiment certifié haute qualité environnementale (HQE). C’est une des rares sinon la seule ambassade française à recevoir une telle certification. Nous avions à cœur de privilégier les matériaux du Gabon, de bénéficier du savoir-faire et de l’expertise des acteurs locaux, qui vont de la maîtrise d’ouvrage aux ouvriers, en passant par les architectes et autres experts, sans qui cette nouvelle ambassade n’aurait pu voir le jour.
Je tiens à les en remercier sincèrement. Le nouveau bâtiment qui regroupera tous les services de l’équipe France (y compris les services du consulat général) évoluera dans un écrin de verdure qui s’insère parfaitement dans le paysage librevillois. Son inauguration sera un événement important dans la relation franco-gabonaise.
EE : À ce jour, combien de Français sont inscrits au consulat ?
Aujourd’hui au Gabon, 7 248 personnes sont inscrites au registre des Français établis hors de France.
EE : Quel est le nombre de collaborateurs gabonais employés par l’ambassade de France au Gabon ?
L’ambassade et le consulat général comptent dans leur équipe quelque 30 agents de droit local, toutes nationalités confondues, dont plusieurs Gabonais. L’Institut français du Gabon (IFG) compte également en son sein 30 agents de droit local. Ces agents font partie intégrante de l’équipe France. Leur contribution aux différentes activités du poste est essentielle. Je saisis l’occasion pour les en remercier grandement.
QUESTIONS ÉCONOMIQUES
EE : Sur le plan économique, avec une part de marché de 26 %, la France est le premier fournisseur du Gabon, devant la Belgique et la Chine. De leur côté, les importations françaises concernent le secteur des hydrocarbures (55 % des importations), mais également la filière du bois et le manganèse. Concernant la filière bois, comment explique-t-on l’intérêt très modéré des investisseurs potentiels pour la zone économique de Nkok ?
Les importations françaises depuis le Gabon sont effectivement très concentrées : en 2021 elles étaient réparties principalement entre le bois (46 % du total), les hydrocarbures naturels (25 % selon les douanes françaises) et les minerais métalliques (25 %). Les importations de bois sont en hausse constante depuis 2019 (+12 % par an en moyenne sur la période), portées par la demande en sciages tropicaux des usines françaises (essentiellement en bois tropicaux certifiés FSC), et la bonne tenue des prix des bois sciés tropicaux. La demande française de bois gabonais croît plus fortement que la demande globale de bois française, ce qui atteste du dynamisme des transformateurs/importateurs français toujours très présents au Gabon.
Ces sociétés sont présentes au Gabon de manière historique, certaines depuis de nombreuses décennies, et sont les meilleurs vecteurs pour la distribution des produits en bois gabonais vers l’ensemble de l’Europe, souvent après une dernière transformation en France. Elles ont investi dans ce pays bien avant la mise en place de la zone économique de Nkok, dans des zones proches de leurs exploitations forestières ou des infrastructures portuaires.
Si une seule filiale d’entreprise française est installée au sein de la zone de Nkok, des partenariats ont cependant été établis entre des entités hexagonales et GSEZ. Par exemple, fruit d’un accord conclu en janvier 2017, l’opérateur français Rougier s’est engagé à fournir annuellement 110 000 m3 de grumes d’okoumé pour une durée de sept ans aux industriels du secteur. Par ailleurs, un partenariat a été conclu entre l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris (EnsAD) et GSEZ en octobre 2015 dans le but de créer l’Institut supérieur international d’art et design d’Afrique (Isiada). Dans le cadre de cette coopération, une formation a été proposée, en avril 2016, aux opérateurs du cluster bois afin d’apprendre à améliorer le design de leurs produits.
...Projet Pise – Crédits AFD
EE : Quels sont les principaux produits exportés par la France au Gabon ? En quelle quantité ? On compte environ 110 entreprises françaises au Gabon. Dans quels domaines la France est-elle leader ? Quel chiffre d’affaires global ces entreprises réalisent - elles ? Combien d’emplois génèrent-elles ?
Nos exportations couvrent une très large gamme de besoins gabonais. Elles se sont adaptées à la demande gabonaise, à juste titre exigeante en termes de qualité, et sont particulièrement bien diversifiées.
En 2021, les principaux secteurs d’exportations étaient les mêmes que sur les dix dernières années : produits agricoles et des industries agroalimentaires (30 %), biens d’équipement (équipements mécaniques, matériel électrique, électronique et informatique, 27 %), biens intermédiaires (chimiques, métallurgiques, caoutchouc, bois, textile, 24 %), et produits pharmaceutiques (13 %).
À noter que la France est également un important exportateur de services vers le Gabon, pour environ 500 M€ en 2021.
Le Gabon est la 8e destination des investissements français, en nombre d’implantations, sur le continent. Fin 2020, on compte 85 filiales d’entreprises françaises implantées au Gabon (plus qu’au Cameroun ou au Nigéria), pour un chiffre d’affaires cumulé de près de 3 mds d’euros, 12 500 salariés, un stock d’investissement de 750 millions d’euros. Le Gabon compte également de nombreux « établissements français de l’étranger », ces sociétés de droit gabonais créées par des Français qui ont largement contribué au développement économique du Gabon dans tous les domaines de l’économie. Elles constituent elles aussi un trait d’union entre les écosystèmes d’affaires gabonais et français.
À l’exception de la banque, tous les secteurs de l’économie gabonaise comptent un acteur français (filiale ou entreprise détenue par un Français installé au Gabon), très souvent leader. Jusqu’en 2007, le Gabon était le principal destinataire des investissements directs à l’étranger (IDE) français dans la zone, grâce aux importants investissements des groupes pétroliers. Les perspectives sont favorables compte tenu des investissements en cours et à venir effectués par les entreprises françaises dans les secteurs pétroliers avec Perenco (dont le siège opérationnel est en France), Total et Maurel & Prom, minier (Eramet) et des infrastructures (Méridiam, Eranove).
EE : Bon nombre d’entreprises françaises installées au Gabon y sont depuis longtemps. Les centres d’intérêt du Gabon attirent-ils de nouveaux investisseurs? Si oui, dans quels secteurs d’activités ?
Les investissements des entreprises françaises sont très diversifiés au niveau sectoriel en termes d’effectifs employés, mais effectivement encore un peu concentrés en valeur sur le secteur extractif. Néanmoins, une entreprise comme Méridiam, positionnée sur quatre projets emblématiques (la route Transgabonaise, en partenariat avec Arise/GSEZ ; la construction du barrage de Kinguélé aval avec le FGIS ; le second port minéralier ; et enfin, la Setrag aux côtés d’Eramet) montre bien une diversité d’intérêts pour le pays, notamment dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures. Dans le secteur numérique, on peut citer également CanalBox, qui a mis la fibre à portée de milliers de foyers gabonais depuis plus de trois ans et investit désormais à Port-Gentil.
EE : « Renforcer la coopération sud-sud, c’est accélérer notre développement », a souligné Madame Rose Christiane Ossouka Raponda, premier ministre du Gabon. La Chine et l’Inde, notamment, gagnent des parts de marché importantes. Ces pays répondent aux attentes des autorités et industrialisent le pays. Ils participent aussi à la diversification de l’économie. Cela constitue-t-il un sujet de préoccupation pour vous ?
Absolument pas ! Et d’ailleurs, les entreprises françaises sont également des partenaires pour des sociétés « du Sud », telles qu’Olam. Plus globalement, alors que de nouveaux acteurs, issus notamment des pays émergents, s’intéressent au Gabon, les entreprises françaises demeurent une référence en matière de qualité, d’excellence technologique, mais aussi de RSE et d’impact social et environnemental. Ce sont des partenaires de très long terme. À titre d’exemple, dans le domaine du bois, tous les forestiers français exploitent leurs concessions forestières avec une vision sur le long terme qui vise à permettre à la forêt de se régénérer et à conserver le patrimoine environnemental du Gabon. Des sociétés comme Rougier et la Compagnie des bois du Gabon (CBG) sont toutes certifiées FSC depuis plus de 10 ans, soit le label de référence en matière de gestion durable des forêts. Autre point essentiel : les entreprises françaises participent, à leur niveau, à la modernisation de l’économie gabonaise, à plusieurs égards. On retiendra par exemple, en matière de formation, la création de l’Institut du pétrole et du gaz en 2010 sur la base d’un PPP financé notamment par Total Gabon et Perenco, ou encore la création de l’École des mines et de la métallurgie de Moanda financée par Eramet/Comilog. Les entreprises françaises réalisent par ailleurs des investissements innovants, tissent des partenariats avec des startups gabonaises. Bon nombre d’entre elles ont recours aux énergies propres et participent au recyclage de leurs déchets.
QUESTIONS À L’AFD (AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT)
L’Agence française de développement intervient au Gabon sous forme de prêts souverains (financement d’infrastructures et de projets sociaux) et de prêts de soutien budgétaire ainsi que par l’accord de conversion de dettes.
EE : On sait que les investissements de l’AFD sont très pluriels. Quelles sont les réalisations en cours ? Sont-elles conjointes avec d’autres bailleurs de fonds ? Sous quelles formes ? De prêts ? De dons ?
Les réalisations en cours concernent trois domaines.
Les secteurs sociaux tout d’abord, avec deux projets importants. Le premier est le projet Pise qui, grâce à un prêt de 154 millions d’euros, est en train de construire 500 nouvelles salles de classe dans le grand Libreville et à Port-Gentil. Il s’agit du financement le plus important de l’AFD dans le secteur de l’éducation en Afrique. Rapporter le montant du prêt à la taille de la population permet de mesurer plus encore l’importance de l’effort d’investissement. Le second est le projet Pass 2 qui vise à améliorer l’accès aux soins à l’intérieur du Gabon, avec la construction ou la réhabilitation d’une dizaine de structures de santé. Ces projets sont de nature à améliorer le quotidien des populations bénéficiaires sur le terrain.
Le deuxième axe est celui des transports, cher aux Gabonais, avec le financement du plan de remise à niveau du chemin de fer. Certains travaux tels que la réhabilitation de quelques gares sont déjà terminés, mais d’autres, notamment les plus structurants, débutent tout juste.
Enfin le secteur de l’environnement, dans lequel la France et le Gabon ont engagé une coopération pionnière avec un accord de conversion de dettes (ACD) signé il y a 15 ans. Cet accord a converti de la dette publique gabonaise en projets de développement, grâce à un apport de subventions françaises. L’ACD a notamment permis de financer différents projets tels que la création de l’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales (Ageos), la construction de clôtures électriques dans l’Ogooué-Ivindo pour protéger les plantations villageoises des éléphants, d’un laboratoire de génétique de la faune à l’ANPN, d’un hub à Lastoursville afin de déconcentrer les procédures douanières de la filière bois ou encore d’une « salle de classe » à l’Arboretum Raponda Walker. Des officiers de police judiciaire et magistrats ont également bénéficié d’un renforcement de capacités dans la lutte contre les délits environnementaux.
Je précise que les financements de l’AFD sont articulés avec ceux des autres bailleurs de fonds présents au Gabon, notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement pour le secteur de l’éducation. En ce qui concerne le Transgabonais, il est financé par deux entités du Groupe : Proparco et l’AFD, mais aussi par la Société financière internationale (SFI). Enfin, le secteur de l’environnement est financé par de nombreux bailleurs, avec lesquels l’AFD échange très régulièrement.
EE : Quels sont les projets en cours d’étude ?
La maturation d’un projet de développement s’inscrit toujours dans le temps long. Il faut d’abord vérifier la pertinence des premières intuitions, puis analyser la faisabilité du projet avant de structurer son organisation. À ce stade, nos échanges avec les autorités gabonaises portent sur deux secteurs : l’éducation, pour poursuivre la résorption du déficit en salles de classe, et l’environnement. Même si nous pourrons capitaliser sur les projets existants et ainsi accélérer ces projets de 2e génération, il est encore trop tôt pour dire ce qui sera financé exactement.
QUESTIONS AU SCAC (SERVICE DE COOPÉRATION ET D’ACTION CULTURELLE)
EE : Après deux ans de pandémie, comment va l’IFG et que nous réservez-vous pour la rentrée ?
Avec la levée des mesures barrières en avril dernier, nous sommes heureux de constater que l’Institut français (IF) a très vite retrouvé son public, comme en témoigne l’affluence au cours des trois derniers mois. À titre d’exemple, la « Nuit des idées » et la « Fête de la musique » ont attiré chacune 700 participants, le festival « Coup de théâtre » et celui du cinéma européen respectivement 600 et 500, dont de nombreux jeunes.
Cette reprise a pu s’effectuer rapidement grâce à la salle de cinéma de 400 places, numérisée depuis 2015, qui est d’ailleurs la 5e salle du réseau des IF en matière de diffusion. Notre dispositif permet ainsi une programmation culturelle très riche avec près de 500 évènements annuels, notamment en ce moment le Fesidal, festival international de danse de Libreville.
Nous programmons déjà les évènements pour la rentrée : Guillaume Gallienne, de la Comédie-Française, pour célébrer les 400ans de la naissance de Molière en septembre, le « Festival de jazz et de musique classique » en octobre, la « Fête de la science » en novembre, qui sera l’occasion d’inaugurer le tout nouvel espace dédié aux jeux vidéo et à la réalité virtuelle de la médiathèque, et un très beau spectacle de fin d’année pour le jeune public produit par la compagnie trombinoz’notes.
Les 28 et 29octobre, nous organiserons, à nouveau en présentiel, un salon des études en France pour mettre en contact les établissements d’enseignement supérieur français, les professionnels gabonais de l’enseignement et les alumni avec les candidats gabonais, afin de les accompagner dans l’élaboration d’un projet académique solide. Ils pourront ainsi obtenir toutes les informations nécessaires sur les formations, les conditions d’admission, les programmes, les débouchés, les stages ou la vie étudiante auprès des 30 stands qui seront installés dans les jardins de l’IFG. Enfin, parmi les nombreux projets à venir, nous prévoyons pour 2024 une célébration pour les 30 ans de la construction de l’Institut. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
EE : En matière culturelle et de patrimoine, le nouveau musée national a pu profiter d’un accompagnement important en matière de renforcement de ses capacités. Les résultats obtenus sont-ils significatifs et cela laisse-t-il augurer une exposition d’envergure en articulation avec les musées français ?
...Nuit des idées, jardins de l'Institut français
Depuis 2021, un projet intitulé Museogab accompagne en effet le Musée national du Gabon dans la construction de son projet scientifique et culturel. Ce projet vise à garantir des conditions d’accueil et de conservation en prévision d’une circulation des œuvres, à former et à professionnaliser des médiateurs culturels et des conservateurs.
À ce stade, les agents du Musée national ont bénéficié de plus de 335 heures de formation cumulées. Les deux premières conservatrices gabonaises ont été formées à l’Institut national du patrimoine de Paris et deux autres agents achèvent actuellement une formation universitaire « Recherche de provenances des œuvres : circulations, spoliations, trafics illicites, restitutions » avec l’Université de Paris-Nanterre. À l’Université Omar Bongo, le projet a également accompagné l’ouverture de deux nouveaux masters professionnels en muséologie et en conservation et valorisation du patrimoine, en lien avec le Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Quatre chantiers-écoles ont été organisés avec l’Institut national du patrimoine, dont un cet été, une première sur le continent. Enfin, le projet a permis de préparer trois expositions temporaires programmées avec le ministère chargé de la culture et des arts sur la vannerie, les masques et les découvertes archéologiques de la grotte Iroungou.
L’exposition sur les masques s’apprête d’ailleurs à tourner dans plusieurs écoles à travers le Gabon. Tout se met donc en place pour coconstruire, avec les autorités gabonaises, un projet ambitieux destiné à mettre à l’honneur la culture gabonaise dans sa richesse et sa diversité.
Ces dernières années ont été marquées par un soutien fort de la France à l’artisanat, avec notamment un appui remarqué à la création d’une Chambre nationale des métiers et de l’artisanat inaugurée il y a quelques mois.
EE : L’ambassade de France entend-elle poursuivre sa coopération dans cette direction ou se réorienter vers d’autres priorités ?
L’artisanat, qui emploie près de 80 % de la population active du Gabon, est en effet un secteur qui regorge de nombreux talents, de savoir-faire manuels précieux et d’opportunités pour la croissance économique du pays. Mais il doit également faire face à de nombreux défis, tels que la professionnalisation et l’innovation, pour répondre aux besoins d’un marché très concurrentiel et mondialisé. C’est dans cet objectif que l’ambassade de France a apporté son concours au ministère du Commerce, des PME et de l’Industrie au cours des trois dernières années.
Les résultats ont été très positifs avec la structuration de quatre filières artisanales (froid et climatisation, métallurgie, menuiserie, tri et déchets), le renforcement technique d’une centaine d’artisans à Port-Gentil, Libreville, Oyem et Lastourville, ainsi que la création d’une « Maison de tous les artisans gabonais », établissement public à caractère professionnel.
Aujourd’hui, le relai est passé à cette Chambre nationale des métiers de l’artisanat du Gabon qui, grâce au projet, a développé des perspectives de coopération décentralisée avec la Chambre des métiers de la Vienne en France, afin de poursuivre cette dynamique. C’est là un exemple de partenariat concret que nous souhaitons promouvoir.
EE : L’enseignement français au Gabon jouit d’une belle notoriété, avec notamment les lycées Blaise Pascal à Libreville et Victor Hugo à Port-Gentil. Le réseau des EPC a néanmoins connu quelques difficultés. Ces dernières sont-elles levées ? Peut-on imaginer un développement de l’enseignement français ?
Au Gabon, le dispositif d’enseignement français est important avec 11 établissements homologués par l’éducation nationale française qui scolarisent 5 300 élèves, du préscolaire au baccalauréat. Ces établissements sont répartis entre Libreville, Owendo, Port-Gentil, Moanda et Franceville, au plus près des centres économiques du pays. Cette année encore, les lycées Blaise Pascal et Victor Hugo obtiennent 100 % de réussite au baccalauréat général et de proposition de poursuite d’études en France.
Quant au réseau des EPC, il constitue un dispositif unique et original, puisqu’il s’agit de six écoles primaires publiques gabonaises homologuées par la France. Un accord intergouvernemental a été renouvelé en janvier dernier qui réforme la gouvernance pédagogique et financière de ces EPC.
Notre objectif est également d’améliorer la qualité des infrastructures en lien avec le gouvernement gabonais et l’association des parents d’élèves gestionnaire.
Une autre particularité du dispositif d’enseignement français au Gabon concerne les écoles d’entreprise financées par la Comilog à Moanda, c’est-à-dire l’école primaire et le collège au sein du lycée public Henri Sylvoz. Le renouvellement de leur homologation est en cours. Dans le cadre de sa RSE, la Comilog travaille à une extension importante de l’école primaire et nous étudions ensemble la possibilité d’homologuer la partie lycée de l’établissement Henri Sylvoz. L’homologation est en effet une possibilité ouverte aux établissements qui le souhaitent, à condition de répondre aux critères.
EE : Monsieur l’Ambassadeur, le Gabon est le 55e pays intégré au Commonwealth. Considérez-vous qu’il s’agisse d’un tournant géopolitique majeur ?
L’adhésion du Gabon au Commonwealth relève d’un choix souverain du Gabon que nous respectons. Ce que je peux dire, c’est qu’à l’instar d’autres organisations, le Commonwealth favorise le dialogue et les échanges entre ses membres, mais aussi avec des pays tiers. Or le dialogue et l’échange sont les principes de base de la diplomatie qui permettent d’éviter des crises ouvertes, ce qui est hautement appréciable dans le contexte international incertain que nous connaissons aujourd’hui. Par ailleurs, cette organisation porte les mêmes valeurs que la Francophonie en termes de droits de l’Homme, de principes démocratiques ou de respect de l’État de droit. Ce sont des principes que l’on ne réitère jamais suffisamment et on ne peut donc que se réjouir que le Gabon intègre une autre instance qui porte ces ambitions.
EE : La Francophonie doit-elle craindre une dévalorisation de l’emploi de la langue française ?
Pas du tout ! N’antagonisons pas Francophonie et Commonwealth. Il ne s’agit pas d’organisations exclusives. Pour preuve, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) compte 10membres à part entière ainsi que 5 membres-associés ou observateurs qui appartiennent également au Commonwealth. La Francophonie vise certes à promouvoir la langue française, mais dans un contexte de plurilinguisme, de diversité culturelle. C’est dans le cadre de cette diversité tant culturelle que linguistique que la Francophonie continuera à prospérer, que la langue française continuera à s’enrichir. Mais la Francophonie, c’est également une conviction : celle que la langue, la culture, l’éducation, mais aussi les dialogues interculturels sont facteurs de stabilité et de paix. J’évoquais le dialogue et l’échange comme piliers de la diplomatie. Ces principes sont au cœur même de la philosophie de la Francophonie, car ils sont à même de promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme. Ces objectifs, la Francophonie les partage avec d’autres organisations telles que le Commonwealth. C’est d’ailleurs ce que Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de la Francophonie, rappelait lors de son dernier déplacement au Gabon : ces deux organisations portent les mêmes messages et s’enrichissent l’une de l’autre.
le 25 août 2022
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