CES INDUSTRIES ÉMERGENTES CAPABLES DE BOOSTER L’INDUSTRIALISATION DU GABON
En février 2025 à Addis-Abeba, la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a identifié l’industrie pharmaceutique comme un levier essentiel pour l’industrialisation du continent.
Le Gabon, a pour objectifs de couvrir au moins 30 % de ses besoins en médicaments essentiels à l’horizon 2030, contre moins de 5 % aujourd’hui. Ce potentiel de substitution est estimé à plus de 20 mds de F CFA par an selon la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (Cnamgs) dans son rapport sur la dépendance médicamenteuse de 2020, et le Gabon pourrait saisir cette opportunité. Ce projet pourrait également annoncer l’émergence d’un pôle biomédical national intégrant production, logistique et recherche clinique. Selon les données du ministère de la Santé, l’usine Santé pharmaceutique de Nkok, inaugurée en 2023, pourrait atteindre à terme une capacité de 50 millions de comprimés par an. Actuellement, le commerce des produits pharmaceutiques affiche une moyenne de chiffre d’affaires de 70 mds de F CFA, avec un pic à 73 mds de F CFA en 2023, en hausse de 7,4 % par rapport à 2022, principalement en lien avec les importations.
Autre chantier prometteur : celui des biocarburants à base d’huile de palme. Avec plus de 150 000 ha de plantations en cours de valorisation et une production annuelle de plus de 617 929 tonnes d’huile de palme brute en 2023, le Gabon peut se positionner comme fournisseur de biodiesel pour le marché domestique et régional. Une réduction de 15 % des importations de carburants, soit près de 60 millions de litres par an, serait envisageable selon les modélisations du ministère de l’Énergie. Selon les prévisions issues de plusieurs rapports d’institutions internationales sur les filières agro-industrielles en Afrique, ce secteur pourrait générer à lui seul plus de 2 000 emplois directs dans la logistique, la transformation et la distribution.
Le développement de batteries pour véhicules, notamment électriques, fondé sur l’abondance en manganèse (avec plus de 5 millions de tonnes extraites en 2023, le Gabon est le 2e producteur mondial derrière l’Afrique du Sud) pourrait également s’inscrire dans une dynamique de valorisation locale. Le marché mondial des batteries électriques, estimé à 120 mds de dollars US en 2023, représente une opportunité stratégique pour positionner le Gabon, leader africain en matière de développement durable, dans cette chaîne de valeur. De plus, la robustesse de l’activité des services de mécanique générale, qui affiche un chiffre d’affaires moyen de 18 mds de F CFA par an entre 2021 et 2023 selon le tableau de bord de l’économie, pourrait grandement favoriser l’émergence de ce segment. Si pour l’heure aucune discussion n’est engagée entre le Gabon et des groupes industriels asiatiques ou indiens concernant l’installation d’une chaîne de préproduction de composants pour batteries électriques, la volonté d’expansion d’entreprises sud-coréennes telles que LG Energy Solution, Samsung SDI et SK, pourrait servir de catalyseur.
La filière cosmétique naturelle, en croissance sur le continent, s’appuie sur des produits locaux comme le moabi, le beurre de mangue ou la citronnelle. Le marché cosmétique naturel africain est estimé à plus de 1,5 md de dollars US en 2023, avec une croissance annuelle de 8 %. Soutenues par l’Agence nationale de promotion des investissements (ANPI), plusieurs TPE gabonaises commencent d’ailleurs à exporter vers la sous-région. Si on s’appuie sur la dynamique et les prévisions actuelles, le développement d’une marque nationale pourrait permettre d’atteindre 5 % de parts du marché sous-régional d’ici 2030,
Dans le secteur des peintures industrielles et des résines, la demande est dopée par les activités de construction et de transformation du bois. Le chiffre d’affaires global du secteur BTP au Gabon ayant dépassé les 121 mds de F CFA en 2023, les besoins en matériaux dérivés comme les revêtements, colles, et produits chimiques spécialisés se multiplient. Des unités de production locales, combinant composants importés et matières premières transformées à Nkok, sont en phase pilote avec des investissements estimés à 2,5 mds de F CFA. La production des peintures, bien qu’elle se soit repliée de 4 % à 3 255 tonnes en 2023 par rapport à 2022, reste solide bien que corrélée à une baisse temporaire de la demande en 2023. Cependant, avec les projets en cours et la nécessité d’accélérer la transformation du Gabon, ce segment pourrait voir son activité exploser.
Le dynamisme de ces nouvelles industries repose aussi sur la création d’écosystèmes techniques et logistiques. Le secteur du recyclage et de la valorisation des déchets pourrait connaître une impulsion grâce à la fermeture prochaine de la décharge de Mindoubé et la migration vers la future unité de Nkoltang. Le site sera conçu pour traiter jusqu’à 300 tonnes par jour dans sa phase finale, avec une valorisation potentielle de 40 % des volumes collectés. À terme, cette filière pourrait générer plus de 500 emplois directs et 1 000 emplois indirects dans la logistique, le tri, la transformation et la commercialisation des produits recyclés. Des startups se positionnent déjà sur la fabrication de pavés plastiques, briques recyclées, et la collecte sélective. Le Gabon pourrait à terme recycler jusqu’à 100 000 tonnes de déchets par an, contre moins de 15 000 tonnes aujourd’hui.
L’agro-industrie spécialisée dans la transformation du manioc, du maïs, du cacao ou de la banane plantain offre également des perspectives réelles : plus de 60 % des besoins alimentaires sont aujourd’hui importés, pour un coût annuel de plus de 250 mds de F CFA. Le gouvernement ambitionne de créer d’ici 2030 plusieurs zones agroindustrielles de proximité (ZAIP), capables de produire localement jusqu’à 40 % des denrées actuellement importées. Une première zone pilote est prévue à Andem pour cette année.
Le numérique, moteur transversal, devrait bénéficier du déploiement massif de la fibre optique, de la création de technopôles et de la dématérialisation des services publics. Développer un réseau de technopoles et d’incubateurs d’entreprises du numérique afin d’impulser l’entrepreneuriat dans ce domaine est l’un des piliers de la stratégie numérique. La couverture nationale en fibre est passée de 14 % en 2021 à 35 % en 2023. Des startups innovent désormais dans l’IA, les solutions agricoles intelligentes et la gestion de données d’intérêt public. Selon le gouvernement, le secteur numérique pourrait contribuer à hauteur de 6 à 8 % du PIB d’ici 2030.
Dans le secteur des matériaux innovants, les débouchés se multiplient pour le bois lamellé-collé, les panneaux compressés et les composites biosourcés, l’objectif étant de fournir le marché du BTP, des mobiliers écologiques et des équipements scolaires. Selon la ZES de Nkok, plus de 12 000 m³ de bois transformé en produits techniques ont été exportés en 2023 vers l’Europe et l’Asie. Enfin, le textile artisanal fait l’objet d’un regain d’intérêt. Le gouvernement encourage la création de coopératives, l’utilisation de fibres naturelles locales et le positionnement sur des produits haut de gamme destinés aux diasporas et au marché touristique. Des projets pilotes à Oyem et Lambaréné visent à relancer une production textile semi-industrielle locale dès 2026.
Ces filières pourraient dessiner un futur industriel plus diversifié pour le Gabon, capable de créer des emplois, de réduire les dépendances extérieures et de s’ancrer dans des chaînes de valeur locales et régionales. Pour concrétiser ce potentiel, l’aménagement de zones industrielles mixtes, le développement du capital humain et l’accès aux financements adaptés seront essentiels. De nombreuses réformes sont en cours en la matière. Le « Made in Gabon » prendra indéniablement corps dans la prochaine décennie.