CEMAC : LA COBAC DURCIT LES RÈGLES POUR LES BANQUES ET LES ÉTATS
La Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) a annoncé récemment une réforme visant à augmenter les taux de pondération des risques souverains pour les banques opérant dans la région Cemac (Cameroun, Gabon, Tchad, Congo, RCA, Guinée équatoriale). Cette décision, effective depuis ce mois d’octobre 2024, impose désormais aux banques de mobiliser davantage de fonds propres pour couvrir leurs prêts accordés aux États, en fonction de leur respect des critères de convergence communautaire. Tout ceci s’inscrit dans une volonté de limiter l’exposition des banques aux risques souverains et de préserver la stabilité financière régionale.
Les raisons derrière cette décision
Pour comprendre cette décision du gendarme financier, il faut se plonger dans une analyse des critères de convergence de la région. Il est difficile pour les six États membres de la Cemac de respecter pleinement les critères liés à la gestion budgétaire, à la maîtrise de la dette ou à l’inflation. Les retards dans le paiement des dettes publiques accroissent le risque de défaut, ce qui met en péril la solvabilité des banques exposées à ces emprunts. Le FMI et d’autres partenaires ont donc incité la Cobac à renforcer les mesures pour assurer une discipline budgétaire dans la région. Face à ces dérives, la Cobac impose donc désormais des pondérations élevées sur les prêts accordés aux États. Une banque prêteuse devra immobiliser 90 % du montant prêté au Cameroun, 85 % pour la Guinée équatoriale et la RCA, et 100 % pour le Gabon.
Conséquences de cette mesure, les États de la Cemac, dépendants des emprunts domestiques pour financer leurs budgets, verront leurs capacités de mobilisation réduites. En obligeant les banques à immobiliser davantage de fonds propres, la Cobac restreint également leur capacité à prêter à d’autres secteurs. Les entreprises, particulièrement les PME, pourraient souffrir de cette raréfaction des financements, compromettant ainsi leur contribution à la croissance économique régionale. Selon les données de la BEAC, les crédits accordés aux entreprises dans la zone représentaient 34 % du total en 2023. Ce ratio risque de diminuer avec les nouvelles exigences. La réduction des prêts aux États et aux acteurs privés pourrait accentuer le ralentissement économique. Les prévisions de croissance pour la Cemac (3,2 % en 2023 contre 4,8 % en 2022) pourraient être revues à la baisse.
Points positifs
Si cette décision est perçue comme une contrainte à court terme, elle pourrait pousser les États à adopter des pratiques budgétaires différentes. Caractérisée par sa dépendance à l’endettement et par des faiblesses dans la collecte des recettes fiscales, la gestion des finances publiques a accentué les risques financiers. Plusieurs experts, dont Ange Ngandjo, banquier et consultant camerounais, estiment que la mise en œuvre de réformes structurelles pourrait changer la donne. Ils suggèrent notamment une gestion transparente des fonds publics, une diversification des économies, une dépendance moindre aux matières premières ainsi qu’une amélioration des collectes fiscales.
En agissant de manière proactive, la Cobac cherche donc in fine à préserver la stabilité du système bancaire régional tout en incitant les États à corriger leur gestion financière. Cependant, la réussite de cette stratégie dépendra de la capacité des gouvernements à s’adapter rapidement. Pour les économies de la Cemac, cette réforme pourrait amorcer une transformation structurelle indispensable, malgré les sacrifices à court terme. En stabilisant les bases financières, la région pourrait retrouver un chemin de croissance plus durable.
RÉUNION D’URGENCE DES CHEFS D’ÉTAT DE LA CEMAC
Cette grand-messe a donné l’occasion de diagnostiquer la situation macroéconomique que traversent les pays de la zone.
Comme en décembre 2016, les chefs d’État des six pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) se sont retrouvés à Yaoundé, au Cameroun. Objectif : étudier les conditions nécessaires à la stabilité macroéconomique et à la croissance au moyen d’efforts concertés.
Des indicateurs macroéconomiques au rouge
La situation macroéconomique des pays de la Cemac est jugée fragilisée. La plupart des indicateurs macroéconomiques seraient au rouge avec, en première ligne, un surendettement prononcé, l’un des États, à savoir le Congo-Brazzaville, étant en quasi-cessation de paiement. « Les fonctionnaires ne sont plus payés régulièrement et accumulent des arriérés de salaires. La Guinée équatoriale est également en pleine récession. Les autres États seraient aussi très endettés ».
Dans un récent rapport, la Banque mondiale, à son tour, ne manque pas de tirer la sonnette d’alarme. Selon l’institution de Bretton Woods, la croissance dans les pays de la Cemac a diminué entre 2022 et 2023, et reste insuffisante pour réduire substantiellement la pauvreté. Elle a ralenti à 1,7 % en 2023, contre 3,1 % en 2022, en raison d’une baisse significative de l’activité pétrolière en Guinée équatoriale et d’une croissance plus faible au Gabon. Au fil des ans, la croissance moyenne dans la Cemac a été inférieure à celle des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Dans son rapport, la Banque mondiale relève également que les perspectives de croissance sont sujettes à des risques, liés notamment aux prix des matières premières, aux coûts d’emprunt plus élevés, aux perturbations du commerce mondial plus fortes, aux catastrophes climatiques, ainsi qu’à l’insécurité et aux conflits dans certaines régions du Cameroun, de la République centrafricaine et du Tchad.
Parallèlement, les dépenses publiques ont augmenté dans la plupart des pays de la Cemac, réduisant l’espace budgétaire et posant des défis pour contenir la dette publique. En République du Congo et au Gabon, le ratio dette totale/PIB dépasse le critère de convergence d’endettement de la Cemac. Le taux de chômage bat également des records ainsi que l’informalité, les obstacles aux activités commerciales et le manque d’opportunités qui constituent un défi pour la réduction de la pauvreté.
Pour sa part, la BEAC annonce un repli accentué des réserves de change (5 %) en 2024, malgré une réglementation plus rigide. Or, ces avoirs extérieurs en devises, qui permettent aux pays de la Cemac d’assurer solidairement leurs importations de biens et services, correspondent à 4,5 mois d’importation, contre 4,8 mois en 2023.
Une marge de manœuvre très étroite
Cette situation de turbulences ne va pas sans susciter de réelles inquiétudes. Car parmi les mesures envisageables, le risque de dévaluation du F CFA d’Afrique centrale refait surface une nouvelle fois. Il existe aussi un ensemble de mesures d’austérité, dont certaines ont déjà été prises dans les différentes lois des finances des États, notamment la diminution ou l’arrêt de la subvention des carburants. La réduction du train de vie des États est également une piste pour rendre la dette soutenable afin de continuer à rembourser les créanciers. En outre, la dette intérieure est aussi très importante. L’augmentation de la pression fiscale, avec l’élargissement de l’assiette et l’introduction de nouveaux impôts, est également un mauvais signe pour la santé économique de la Cemac.
Autre indicateur, et non des moindres, la lettre adressée le 13 novembre 2024 par le Gabon au président de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), régulateur du système bancaire de la Cemac, à travers laquelle le pays sollicitait une exemption temporaire de la pondération des risques appliquée à ses titres publics par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Il faut admettre qu’à l’instar du Gabon, tous les pays de la zone Cemac sont dans cette situation. Ils ont du mal à mobiliser des fonds auprès des banques de la sous-région.
Dialogue permanent avec le FMI
En marge des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale qui se déroulaient à Washington D.C. le 22 octobre 2024, les ministres de l’Économie, des Finances et les responsables des institutions de la zone Cemac se sont réunis avec les responsables du Fonds monétaire international (FMI). Cette rencontre a été l’occasion pour les deux parties de discuter de plusieurs enjeux cruciaux pour la stabilité économique de la sous-région. Les discussions ont porté principalement sur le cadre macroéconomique de la Cemac et sur les réformes structurelles nécessaires pour renforcer la résilience économique de la sous-région.
Les représentants du FMI ont alors exprimé leur soutien continu aux efforts de réformes des pays de la Cemac, soulignant l’importance de la mise en œuvre de politiques économiques solides pour stabiliser les finances publiques et stimuler la croissance. La coopération entre la Cemac et le FMI a été reconnue essentielle pour accompagner les pays membres, dont le Gabon, dans leur transition vers des économies plus diversifiées et moins dépendantes des exportations de matières premières.
La problématique lancinante de la dévaluation du franc CFA
En 2016, une réunion de même nature tenue à Yaoundé avait déjà permis d’éviter de justesse la dévaluation du franc CFA d’Afrique centrale, comme l’exigeaient les bailleurs de fonds.
Pour rappel, lors de cette rencontre, reconnaissant l’urgence de la situation, les dirigeants de la sous-région avaient opté pour une réponse coordonnée. Ils avaient décidé de rétablir les conditions nécessaires pour assurer la stabilité macroéconomique et la croissance au moyen d’efforts concertés. Pour ce faire, le FMI avait été sollicité à travers des programmes dans chaque pays
Source : Conjonctures