Faire des zones économiques spéciales des moteurs de la transformation productive accélérée de l’Afrique : pourquoi et comment ? Analyse du webinaire organisé le 15 février par La Verticale AME (Africa-Med-Europa), en collaboration avec l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (ipemed). Synthétiquement, la grande ligne prioritaire est d’industrialiser l’Afrique à partir de la transformation, sur place, de ses matières premières.
Au cours de ce rendez-vous économique, Anne Nkene Biyo’o, administrateur général de l’autorité administrative de la ZERP de Nkok, a réaffirmé l’urgence de tisser des partenariats public-privé pour accélérer la croissance des ZES. « L’État définit la politique, met en place le cadre juridique et parfois les moyens et tous les éléments nécessaires afin de sécuriser et garantir les investissements ; le secteur privé injecte le financement nécessaire pour la construction et le développement des zones. Il est donc aujourd’hui nécessaire d’amplifier cette dynamique avec l’Union européenne afin de répondre aux besoins des investisseurs. » Anne Nkene Biyo’o estime également que pour que les ZES puissent devenir des moteurs de la transformation productive accélérée de l’Afrique, la mise en place d’actions fortes est nécessaire afin de favoriser la création de plusieurs zones spécialisées dans des secteurs à valeur ajoutée pour le continent. En conséquence, elle recommande la mobilisation de fonds pour la construction, au sein de ces zones, des infrastructures nécessaires pour accompagner leur développement (routes, ports, conteneurs, etc.).
ALLOCUTION DE JEAN-CLAUDE JUNCKER, PRÉSIDENT D’HONNEUR DE LA FONDATION LA VERTICALE AME, EN INTRODUCTION DU WEBINAIRE SUR LES ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALE
Après 20 ans de croissance continue, l’Afrique aborde une séquence plus risquée : pandémie, dégradation sécuritaire, moins de croissance et bouleversements géopolitiques. À cet égard, le rôle que pourrait jouer l’Europe qui, comme l’exprime le président Macky Sall, est « un partenaire naturel » de l’Afrique, est plus important que jamais. L’Europe est donc dans l’obligation de trouver les voies et les moyens pour que se développe une nouvelle alliance avec l’Afrique : le Plan d’investissement extérieur de l’UE est une première étape essentielle pour établir la confiance mutuelle, qui devrait être suivie par la conclusion d’un accord de libre-échange entre l’Afrique et l’Europe. Les progrès substantiels réalisés dans la création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) au cours des dernières années sont par conséquent providentiels. Le moment est venu de ne pas se détacher de l’Afrique, ni de multiplier les interventions, mais d’aller à l’essentiel, dans l’intérêt de tous, Africains comme Européens. Pour donner une nouvelle dimension au partenariat de l’Union européenne avec l’Afrique, au moins deux actions me paraissent prioritaires. Pour faciliter les dialogues à tous les niveaux de la société civile, il faut créer des espaces libres, indépendants et innovants et cogérés, où scientifiques, entrepreneurs et jeunes leaders puissent se retrouver en toute liberté et lancer des idées et des projets utiles aux populations et susceptibles de rapprocher les économies des deux continents. La fondation La Verticale Africa-Med-Europa, que je suis honoré de servir en tant que président d’honneur avec Mahamadou Issoufou, est une parfaite illustration de comment répondre à ce défi. Grâce à sa structure – indépendante des institutions, paritaire et travaillant dans la durée avec une vision prospective à long terme, et avec ses trois piliers bien distincts –, un cercle des entrepreneurs pour le pilier business, un forum des sages pour le pilier politique et un réseau de think tanks pour le pilier scientifique, la fondation La Verticale Africa-Med-Europa représente l’outil idéal en suivant cette approche. La deuxième priorité est de permettre aux Africains de se développer à partir d’un modèle de développement de leur choix et par transformation de leurs propres matières premières. Or, le dernier rapport de l’OCDE sur l’évolution du commerce mondial montre que les exportations africaines ont fait un bond de 42 % entre octobre 2020 et octobre 2021, alors que les exportations américaines et les exportations chinoises se limitaient à +17 % et celles de l’Europe à +11 %. Cette super-performance africaine est portée par l’exportation des matières premières sans transformation sur place. Cela ne peut plus durer ! L’Afrique peut et doit créer de la valeur ajoutée et créer des emplois par un développement industriel accéléré. Pour le succès de cette industrialisation, les conditions financières (prêts, crédits, réduction des risques) sont essentielles, mais insuffisantes. En effet, parce que les facteurs de production sont rares, il faut créer des zones économiques spéciales à l’intérieur desquelles les chefs d’entreprises trouvent les facteurs de production et un environnement adéquat pour y développer leurs activités tout en respectant les normes environnementales et sociales, et en promouvant une bonne gouvernance à travers un partenariat public-privé. Grâce à cette approche originale fondée sur les synergies économiques, par rapport à d’autres, plutôt fondées sur l’exemption fiscale, nous pourrions tous, Africains et Européens, bénéficier de cette coproduction industrielle et de ce codéveloppement. Les élites et décideurs africains sont conscients des avantages liés à l’élaboration d’un modèle africain de zones économiques spéciales, tourné vers le marché intérieur, inclusif du tissu industriel local, respectueux des normes environnementales, sociales, et doté d’une gouvernance efficace et transparente. La réalisation de la Zlecaf donne aux ZES une dimension encore plus importante, car elles facilitent la création supply chains interafricaines. Ce webinaire sur les ZES me semble être un exemple positif et encourageant de ce que l’Union européenne et l’Union africaine devraient impulser, c’est-à-dire une politique de coproduction industrielle commune entre l’Europe et l’Afrique.
PROPOSITION DE L’ALLOCUTION DE ISSOUFOU MAHAMADOU, PRÉSIDENT D’HONNEUR DE LA FONDATION LA VERTICALE AME, EN INTRODUCTION DU WEBINAIRE SUR LES ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES.
La jeunesse en Afrique est en ébullition. Elle recherche un futur qui se matérialise par la création d’emploi. Cette situation risque de se dégrader : certains experts prédisent que d’ici à 2050, il y aurait 450 millions de jeunes en recherche d’emploi. Or au taux de croissance des années 2016, qui était très élevé, seulement 250 millions d’emplois seraient créés, laissant 200 millions de jeunes au chômage. Il est urgent d’agir ! Cela ne peut durer ! Il me semble que deux décisions pourraient être prises rapidement, notamment dans le cadre du prochain sommet UE-UA. La première décision consisterait à voir les États, les communautés régionales, et l’Union africaine décider collectivement que la priorité des priorités est d’industrialiser l’Afrique à partir de la transformation sur place de ses matières premières. Récemment entrée en vigueur, la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) offre pour la première fois la possibilité concrète de développer un marché intérieur africain au service d’une croissance moins dépendante de l’extérieur, où synergies et économies d’échelle seront possibles. Dans ce cadre, la création de zones économiques spéciales et sécurisées joue[1]rait un rôle fondamental d’accélérateur et de facilitateur d’investissements, internes et étrangers. On a l’exemple de l’industrialisation chinoise qui a bénéficié de cela. Encore faut-il que l’Afrique définisse son propre modèle pour l’adapter à ses économies et à ses réalités. Actuellement, selon les statistiques de l’Onudi, il existerait 237 zones économiques spéciales en Afrique, pour une population de 1 milliard 300 millions. Dans le même temps, pour la population chinoise, à peu près identique, il existerait 2 546 zones économiques spéciales. Mais ce n’est pas seulement une question de quantité, mais plutôt de qualité de ces zones. Trop souvent, les institutions qui abordent le développement industriel mettent en avant les conditions financières (prêt, crédit, prise en compte des risques). Ces conditions sont certes nécessaires, mais non suffisantes si les conditions techniques et environnementales permettant de disposer des facteurs de production ne sont pas remplies. Or en Afrique, ces facteurs sont rares, notamment l’accès à l’eau, au réseau électrique, au réseau logistique, la présence d’une main-d’œuvre qualifiée, la proximité des marchés, etc. Voilà pourquoi la construction de zones économiques spéciales et sécurisées, où est rassemblé géographiquement le maximum de ces facteurs, est une absolue nécessité. Il ne s’agit pas de zones fermées et d’exception, en exonération de taxation et de droits. Il s’agit de zones ouvertes, de synergie et de rassemblement de facteurs de production pour créer des filières de production africaine compétitives. Mettre en œuvre et remplir ces zones économiques spéciales et sécurisées, adaptées aux réalités africaines, dans un délai relativement bref est un nouveau défi pour la coopération internationale. Voilà pourquoi l’Europe, qui est « notre partenaire naturel », devrait décider d’accompagner les pays africains qui voudraient se lancer sur cette voie et mobiliser leurs entreprises à cet effet.
FAIRE DES ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES DES MOTEURS DE LA TRANSFORMATION PRODUCTIVE ACCÉLÉRÉE DE L’AFRIQUE. QUATRE ACTIONS CONCRÈTES À DÉBATTRE ET À ADOPTER LORS DE LA 7E ÉDITION DU EU-AFRICA BUSINESS FORUM 2022
1ère action : Mise en place d’un nouveau modèle euroafricain pour la création de ZES et le renforcement des capacités des ZES existantes (approche politique et administrative).
L’Union européenne et l’Union africaine pourraient décider de mettre en place une politique commune industrielle, sur une dizaine d’années, avec la création d’un modèle euroafricain de zones économiques spéciales qui soit progressif, inclusif et durable. Ce nouveau modèle euroafricain à promouvoir devrait apporter une véritable valeur ajoutée par rapport à ce qui existe actuellement en Afrique :
2e action : Mobiliser les chefs d’entreprises européens et africains pour créer et faire fonctionner les ZES (approche entreprise).
3e action : Mettre en place des partenariats entre les ZES africaines et les clusters européens (approche société civile).
Cette action consiste non seulement à mettre en relation des ZES africaines et des clusters européens, mais il s’agit de développer des partenariats stratégiques plus avancés, thématique par thématique (agroalimentaire, mécanique, textile, chimie, santé, etc.), fondés sur une approche gagnant– gagnant. Les réussites européennes, en particulier les zones franches espagnoles, les pôles de compétitivité français ou les districts industriels italiens, etc. sont sources d’inspiration et modèles à reproduire, en partie, par les ZES africaines. Ces jumelages Afrique-Europe entre les ZES et les clusters européens auraient pour objectifs : d’échanger des technologies et des bonnes pratiques, de coproduire et créer des chaînes de valeur euroafricaines, d’assurer une formation professionnelle et aboutir à une évaluation des performances des ZES africaines et des clusters européens. L’objectif est également de mettre en place des synergies et des espaces de collaboration plus efficaces que les exonérations fiscales, qui permettraient de répondre aux attentes des industriels et des opérateurs européens et africains en matière d’investissement, de partenariats industriel et commercial.
4e action : Promouvoir de nouveaux mécanismes et faire des propositions pour accélérer le financement des ZES (approche financière)
Ce ne sont pas les finances qui manquent, c’est un organisme capable de conseiller les investisseurs potentiels puis de financer leur projet. Trop souvent, les projets de ZES présentés aux institutions financières sont mal construits ou non adaptés aux situations locales. En un mot, trop de projets de ZES ne sont pas « matures ». D’où la nécessité de mettre en place un organisme capable de :
le 14 mars 2022
La verticale AME (Africa-Med-Europa) / IPEMED
ZES, Economie, Industrie, Zlecaf
Internet en Afrique
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