En 2002, le risque de maladie avait été identifié, parmi tant d’autres, comme celui qui préoccupait le plus les Gabonais. L’assurance maladie obligatoire et universelle s’inscrivait dans le cadre de la réforme du système gabonais de protection sociale initiée par le Gouvernement. C’est au cours du conseil des ministres du 18 janvier 2007 et à l’initiative de feu le président Monsieur Omar Bongo Ondimba que les textes ont été rédigés puis ratifiés en janvier 2008. Les recensements ont été réalisés et les premières cartes d’assurance maladie distribuées, dans un premier temps aux GEF (Gabonais économiquement faibles). Cette institution chère aux Gabonais s’emploie à étudier toutes les opportunités susceptibles d’améliorer ses services. Le rôle de Monsieur Séverin Anguilé, nommé à la tête de cette institution depuis le 7 novembre 2019, est de mettre en place des réformes visant à assurer sa pérennité et à arrimer la Caisse aux standards internationaux. Nous l’avons rencontré.
Portrait Séverin Anguilé, directeur général de la Cnamgs
Séverin Maxime Anguilé, marié, 3 enfants, est le directeur général de la Cnamgs. Il est expert en assurance et réassurance avec une expérience de vingt-deux années menées à l’international et au Gabon. À l’issue de ses études en France, principalement dans le domaine de l’administration et de la gestion des entreprises, il obtient un master 2 en droit et économie de l’assurance. Son parcours professionnel est riche d’une rare expérience : à partir des années 2000, il officie en France pour différentes compagnies d’assurances en qualité de chargé de mission, d’analyste et de tarificateur en assurances collectives. Puis, avant son retour au Gabon en 2005, il entre comme chargé d’études en réassurance à la FSA RE (Paris) et occupe ensuite le poste de DGA chargé de la réassurance chez Ogar jusqu’en 2009 avant d’être nommé responsable des grands comptes à la holding Colina Europe France. De 2012 à 2017, il est successivement DGA puis DG de NSIA Assurances au Gabon. En parallèle, il est élu président de la Fegasa pour un mandat de 2 ans. De 2018 à novembre 2019, jusqu’à sa nomination au poste de DG de la Cnamgs, il développe un portefeuille d’investisseurs pour étudier des projets d’entreprises à fort potentiel et susciter l’intérêt d’entreprises étrangères pour des opportunités d’investissements en Afrique dans le secteur de l’assurance.
EE : Monsieur Séverin Anguilé, à la lecture de ce petit historique, nos lecteurs sont intéressés par les objectifs progressifs que vous vous fixez, notamment en termes de décentralisation, de proximité. Quelles sont vos perspectives dans ce domaine ?
Madame, je voudrais déjà vous remercier pour l’intérêt que vous portez à la Cnamgs qui vient de célébrer effectivement ses 15 années d’existence. Que de chemin parcouru depuis ! En effet, depuis 2007, le pays assure désormais 76 % de la population. C’est un exemple pour beaucoup de pays africains.
Au-delà de cet aspect, il importe de savoir que c’est tout un écosystème qui est entretenu par la Cnamgs. Les structures conventionnées paient des salaires, des cotisations sociales et des impôts. Ce sont des milliers de Gabonais qui sont concernés par la Cnamgs depuis une quinzaine d’années.
Pour revenir à votre question, la Cnamgs est présente sur l’ensemble du territoire national à travers ses délégations provinciales dans chaque chef-lieu de province.
Pour renforcer sa proximité auprès des populations, 17 unités départementales sont réparties sur l’ensemble du territoire national. La dernière en date étant celle de la commune de Ntoum, inaugurée par le chef de l’État le 2 mai 2023.
En contact permanent avec nos 1750693 assurés, ces structures conventionnées sont notre relais auprès de ces derniers. Pour information, entre 2016 et 2022, le coût de la prise en charge de nos assurés s’élevait à environ 378 mds de F CFA. Cet effort a permis à nos partenaires, notamment les pharmacies, cliniques et hôpitaux, de se développer et d’améliorer substantiellement leurs infrastructures et leurs plateaux techniques.
Cela se reflète dans l’engouement de nouveaux partenaires au conventionnement, la Cnamgs étant devenue le premier client des prestataires de santé au Gabon, mais aussi et surtout par l’accueil continu des assurés dans ces établissements de santé.
Nos efforts pour être au plus près des assurés se poursuivent pour mettre l’assuré au cœur de notre modèle opérationnel.
En mars 2023, quelles sont les structures médicales conventionnées et quelles sont celles qui peuvent prétendre à le devenir ?
La procédure et les conditions de conventionnement demeurent inchangées. Toute structure sanitaire en conformité avec les obligations légales d’ouverture et d’exercice d’une activité médicale et/ou sanitaire en République gabonaise est en droit de solliciter le conventionnement de la Cnamgs.
Les structures sanitaires agréées par la Cnamgs ont évolué de 14 % entre 2019 et 2022. Au 31décembre 2022, les structures sanitaires conventionnées sur l’ensemble du territoire national étaient au nombre de 474, contre 448 en 2021.
Les conséquences économiques de l’épidémie de covid-19 ont singulièrement affecté les sociétés et autres entreprises. Des retards de paiement des cotisations ont été enregistrés. Avez-vous examiné les dossiers au cas par cas et quel seuil de tolérance avez-vous pu accepter ?
À l’effet de mener à bien les missions qui lui sont dévolues, la Cnamgs bénéficie de trois fonds. Parmi ces fonds, deux sont dits contributifs et le dernier est non contributif. Il est alimenté par une taxe affectée. Pour revenir aux fonds 1 et 2, ils concernent d’un côté les salariés du secteur privé et de l’autre, ceux du secteur public.
Le rôle de la protection sociale est d’assurer le service des prestations sociales aux populations pour lutter contre la vulnérabilité. Il n’était donc pas envisageable, dans un climat de pandémie, d’adopter une posture favorisant le chômage.
Le secteur privé, notamment les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, a fortement pâti de la pandémie de covid-19. Cela a eu une incidence sur les revenus de l’État et, par ricochet, sur les cotisations sociales de la Caisse.
Pendant la crise sanitaire liée à la covid-19, dans le cadre des efforts déployés par le Gouvernement pour soutenir les entreprises en difficulté, la Cnamgs a mis en place un processus de prise en compte de celles-ci en matière de recouvrement : réception des dossiers des entreprises en difficulté ; examen et analyse de la conformité des demandes ; abandon partiel ou total des pénalités selon les cas, et ce conformément aux dispositions légales et réglementaires ; échelonnement de la dette au travers de la signature de moratoires et protocoles d’accord ; exemption de contrôles de ces entreprises durant cette période difficile.
Sur une dette globale de cotisations sociales d’un montant de 761 482 312 de F CFA, les efforts de la Cnamgs se sont traduits par des remises gracieuses pour un montant global de 593 513 326 de F CFA.
Pour autant, malgré les dispositions légales qui donnent à la Cnamgs le privilège du Trésor, la Caisse s’est longtemps abstenue d’utiliser cet instrument. Elle a su, au contraire, faire preuve de pédagogie et a privilégié les déclarations des opérateurs économiques.
Quelle place occupe la numérisation à la Cnamgs ?
Aujourd’hui plus que par le passé, la digitalisation est une exigence pour la pérennité de la Caisse. C’est la raison pour laquelle nous envisageons, après avoir optimisé les applications existantes, acquérir et implémenter un progiciel de gestion intégrée (ERP) afin de nous arrimer aux nouvelles technologies.
Ce progiciel aidera à la vulgarisation du paiement électronique et à l’ouverture des portails d’accès aux prestataires de santé et aux assurés de la Caisse.
Il favorisera une économie considérable de l’ordre de 1,2 md de F CFA, notamment par la gestion électronique des feuilles de soins qui coûte plus d’un milliard à la Caisse chaque année, par un meilleur suivi des procédures internes, un contrôle accru des prestations (zéro papier) et une limitation de la fraude qui constitue un fléau pour la Caisse. En effet, à titre d’illustration, cette fraude est estimée à plus de 10 % des dépenses de santé.
Enfin, la digitalisation permettra à la Cnamgs d’optimiser ses services, d’améliorer son efficacité, la transparence et l’accessibilité de ses services aux assurés et aux partenaires.
Comment sont recensés les GEF ? Quel est le nombre de personnes identifiées ? Quel est le minima d’allocation familiale accordé aux GEF ? Bénéficient-ils d’autres avantages, si oui lesquels ?
Les Gabonais économiquement faibles (GEF) sont immatriculés par la Cnamgs, et ce, au terme d’une enquête sociale.
Les critères ont changé et ne sont plus fondés sur le seul revenu, mais aussi sur les conditions de vie (santé, logement, formation). Le recensement en cours, encore appelé RGEF II, devrait aboutir à l’élaboration d’un nouveau fichier des GEF encore plus fiable. À ce jour, 1 053 267 personnes sont immatriculées à la Cnamgs en qualité de GEF, soit près de 59 % de nos assurés. Ceux-ci bénéficient d’aides monétaires directes (allocations, notamment aux personnes vivant avec un handicap) à hauteur de 2,3 mds de F CFA sur ces trois dernières années, de la prise en charge du ticket modérateur pour 536 millions de F CFA durant la même période ainsi qu’une aide à la scolarité ou à la formation professionnelle pour plus de 920 millions de F CFA ou encore d’aides funéraires.
Ces avantages viennent s’ajouter à la couverture des risques liés à la maladie et à la maternité par le biais d’une taxe affectée, la Contribution spéciale de solidarité (CSS) à concurrence de 27 213 608 404 de F CFA en 2022.
À l’instigation du président de la République, 17 000 conjoints survivants sans ressources devraient bénéficier dans les prochains jours d’une aide de 491 millions de F CFA sous forme de kits alimentaires et d’hygiène, et ce sur toute l’étendue du territoire national. Cette initiative s’inscrit dans le sens de la poursuite de la mise en œuvre de la politique sociale. Pour rappel, au plus fort de la crise sanitaire de la covid –19, il avait fait don de 2,1 mds pour la prise en charge du ticket modérateur des Gabonais économiquement faibles sur la période allant de 27 avril au 26 octobre 2020
Je puis dire avec satisfaction qu’au cours de cette même période, la Cnamgs, malgré les mesures restrictives, a poursuivi les immatriculations d’urgence des populations en détresse sanitaire et a effectué un suivi rigoureux et efficient de l’opération de prise en charge à 100 % des GEF.
D’importants investissements ont été engagés pour pallier les besoins des patients atteints d’insuffisance rénale. Pouvez-vous développer ?
Au Gabon, près de 500 personnes assurées souffrent d’insuffisance rénale et leurs séances d’hémodialyse sont prises en charge à 100 % par la Cnamgs. Le coût de cette prise en charge est en nette évolution et les dépenses 2022 s’élèvent à 7,48 mds, soit 11 % des dépenses de santé. Pour ces trois dernières années, le coût total réglé aux centres d’hémodialyse s’élève à la somme de 18 295 433 022 de F CFA.
En termes d’investissements, la Caisse s’emploie à intensifier la prise en charge locale des assurés par le biais de missions médico-chirurgicales de pose de fistules artérioveineuses. Ces opérations qui nécessitaient des évacuations sanitaires sont maintenant possibles au Gabon grâce à la mise en place de caravanes médicales par la Cnamgs. Des médecins viennent de l’étranger et réalisent les interventions sur place.
Cela participe non seulement au transfert de compétences au personnel médical local, mais également à la réduction des coûts des Evasan, car un plus grand nombre de patients peut être traité localement.
Pour ces caravanes médico-chirurgicales de pose de fistules artérioveineuses, 94 assurés ont été traités en 2021 pour un montant de 188 millions de F CFA contre 135 en 2022 pour un montant de 270 millions de F CFA. Il faut signaler qu’auparavant, le coût de la pose d’une fistule artérioveineuse par patient s’élevait à 10 000 000 de F CFA avec évacuation sanitaire à l’étranger contre 2 000 000 de F CFA lors des missions médicales sur place.
Vos services mènent-ils des actions dites de prévention auprès des populations telles que des tests de dépistage du diabète, de l’hypertension, du cancer ?
Conformément à l’article 198 du décret 00969/PR/MTEPS du 14 novembre 2008, la Cnamgs finance les sociétés savantes de médecine à l’effet de les aider à mieux appréhender les risques liés à la maladie et à la maternité. Pour ce faire, la Caisse effectue des actions de prévention, notamment lors des campagnes de lutte contre le paludisme, au cours desquelles elle distribue des tests de diagnostic rapide de paludisme. Précisons que le paludisme reste l’une des premières causes de mortalité et de dépenses des assurés.
La Cnamgs participe aussi activement aux campagnes « Octobre rose », où elle prend notamment en charge tous les dépistages et le transfert des populations de l’intérieur du pays vers Libreville.
C’est le cas également pour la campagne « Novembre bleu » pour le dépistage du cancer de la prostate.
S’agissant du diabète, la Caisse subventionne des journées de lutte contre le diabète organisées par les ONG et le service d’endocrinologie du CHUL.
En mai 2023, vous avez assisté à Abidjan à la grand-messe des organismes de sécurité sociale à laquelle les acteurs de chaque pays étaient présents. Quels ont été les thèmes et les enjeux de cette réunion ? Selon vous, à quel niveau se situe la Cnamgs par rapport à d’autres pays de la sous-région ? Des exemples sont-ils à copier ?
Le Forum régional pour la sécurité sociale en Afrique organisé par l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) qui s’est tenu à Abidjan a abordé une série de questions d’actualité prioritaires pour la région que sont notamment l’extension de la couverture, l’évolution des besoins de protection des populations, le rôle de leader des institutions de sécurité sociale pour le développement des systèmes de sécurité sociale dans un contexte d’évolution complexe sur le plan économique, démographique et du marché du travail.
Dans ce cadre, la Cnamgs s’est vu décerner deux certificats de mérite lors de la cérémonie de remise du prix de l’AISS pour les bonnes pratiques. Ces certificats ont été obtenus en raison des travaux sur la fiabilisation du fichier des GEF et de l’élaboration du référentiel des emplois et des compétences.
Le prix AISS des bonnes pratiques et les certificats de mérite récompensent le travail réalisé et le succès dans l’amélioration des méthodes de travail des institutions de sécurité sociale afin d’atteindre l’excellence dans la prestation de la sécurité sociale.
Il faut toujours s’inspirer de ce que font les autres, notamment en matière de recouvrement, comme sait le faire l’Institut de prévoyance sociale – Caisse nationale de prévoyance sociale (INPS-CNPS) de Côte d’Ivoire, ou encore de digitalisation comme la Caisse nationale d’assurance maladie de Tunisie.
Quels sont les projets, les perspectives ? À quelles échéances ?
Avant d’envisager les perspectives, il est nécessaire de faire un bref rappel de l’évolution de la situation financière de la Caisse.
En effet, après plusieurs années pendant lesquelles la Cnamgs a enregistré des résultats déficitaires, cette année 2022 se solde par un résultat net comptable excédentaire de 2 169 160 144 de F CFA. Ce résultat est le fruit d’une gestion rigoureuse d’une part, et de la mise en œuvre effective des très hautes instructions du président de la République, chef de l’État, d’autre part. Cela a permis d’améliorer considérablement le recouvrement des recettes.
C’est dans cette perspective que la Cnamgs, pour son développement, s’inscrit dans une politique qui s’articule autour des trois axes suivants : la mise en place du fonds 4 dédié aux travailleurs indépendants, assurés volontaires et professions libérales, qui prendra en charge la frange de la population non encore couverte afin d’atteindre la couverture maladie universelle, sera effective au cours de l’année 2024 ; l’acquisition et l’implémentation d’un progiciel de gestion intégré (ERP) afin de s’arrimer aux nouvelles technologies. Le monde est en constante évolution numérique et les organismes de prévoyance sociale s’inscrivent dans la digitalisation pour optimiser leurs services, améliorer leur efficacité, la transparence, l’accessibilité de leurs services et lutter efficacement contre la fraude ; l’inversion de la courbe des évacuations sanitaires en participant à l’amélioration de compétences et des plateaux techniques locaux.
Enfin, en matière de garantie sociale, la Cnamgs compte étendre les projets pilotes, notamment les partenariats pour la scolarisation et la formation professionnelle des GEF à travers tout le territoire national.
En conclusion, si l’année 2022 a été une boussole pour nous indiquer les bons process, le résultat excédentaire obtenu par la Cnamgs nous oblige à poursuivre le rythme des efforts déjà entrepris et souhaité par les plus hautes autorités de la République.
le 10 juillet 2023
Anne-Marie Jobin
Assurance, Social, Cnamgs
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