La Cima (Conférence interafricaine des marchés d’assurances) est un exemple unique d’intégration de la régulation et de la supervision de l’industrie des assurances regroupant 14 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Cette intégration permet à des entreprises d’assurance de dupliquer facilement les méthodes et process d’un État membre à l’autre. La mission de la Cima est de travailler au développement sain et harmonieux de l’industrie des assurances en assurant la protection des assurés et bénéficiaires de contrats ainsi que la stabilité financière des économies. Cette organisation a permis au secteur d’enregistrer des progrès significatifs au cours des dix dernières années. Le taux annuel moyen de croissance se situe à 6%. Les placements réalisés par les assureurs dans les économies des différents États membres se chiffrent à 2749 milliards de F CFA en 2021.
Sur le plan de la protection des assurés et bénéficiaires de contrats, cette institution a mis en place des brigades de contrôle qui ont permis de faire évoluer positivement de nombreuses pratiques du marché en vue d’un traitement équitable des assurés et bénéficiaires de contrats. Les sinistres payés en 2021 s’élèvent à 837 milliards de F CFA. Le rôle du secrétariat général de la Cima est de mener des réflexions, d’analyser des problématiques en concertation avec toutes les parties prenantes afin d’encadrer le développement d’une industrie saine et équilibrée des compagnies d’assurance et de réassurance. L’objectif final étant d’assurer un meilleur service aux assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance.
PORTRAIT DE MONSIEUR BLAISE ABEL EZO’O ENGOLO
Titulaire du diplôme de l’Institut des assurances de Tours (1988) et d’un 3e cycle en assurances obtenu en 1989 à l’université François Rabelais de Tours, en France, Blaise Abel Ezo’o Engolo commence une longue carrière au sein du ministère des Finances du Cameroun qui le conduit, après avoir occupé les fonctions d’inspecteur n°3 puis n°1 et de sous-directeur des agréments et de chef de la brigade nationale, aux fonctions de directeur national des assurances du Cameroun de 2015 à 2020. En 2021, il est nommé secrétaire général de la Cima. En marge de son parcours au sein de l’administration publique, Blaise Abel Ezo’o Engolo assume plusieurs responsabilités au sein de l’industrie de l’assurance en Afrique. D’abord administrateur au conseil d’Africa-Re, il intègre ensuite le conseil d’administration de la Cica-Re en tant qu’administrateur puis président du conseil d’administration. Il a également été membre titulaire de la commission régionale de contrôle des assurances ; membre et président du comité des experts de la Cima puis administrateur de l’Institut international des assurances, président du conseil et président de jurys dans cette institution de formation. Président de l’organe de décision de la Carte rose Cemac du Cameroun, Blaise Abel Ezo’o Engolo est aussi enseignant à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam) du Cameroun. Fort de ce riche parcours dans le secteur des assurances, il bénéficie de la reconnaissance des hautes autorités de son pays qui ont alors proposé sa candidature auprès de leurs homologues de la zone franc. Il devient ainsi le quatrième secrétaire général de l’autorité de régulation des assurances, la Cima.
EE : Depuis le 10 juillet 1992, date de signature du traité Cima, quel bilan pouvez-vous établir de cette institution au moment où vous vous apprêtez à commémorer son 30e anniversaire ?
Pour parler de bilan, il me semble judicieux de rappeler au préalable les objectifs assignés à la Conférence interafricaine des marchés d’assurances, sur la base desquels une évaluation du chemin parcouru peut être esquissée. Le traité qui met en place cet organisme le 12 juillet 1992 à Yaoundé les fixe et les précise de manière univoque ainsi qu’il suit : renforcer la coopération dans le domaine des assurances en instituant un marché élargi et intégré de l’industrie des assurances réunissant les conditions d’un équilibre satisfaisant du point de vue technique, économique et financier ; faciliter les conditions d’un développement et d’un assainissement des entreprises d’assurance et accroître les rétentions des primes sur le plan national et sous régional ; favoriser l’investissement local des provisions techniques et mathématiques générées par les opérations d’assurance dans les conditions les meilleures au profit des pays ou de la sous-région ; poursuivre la politique d’harmonisation et d’unification des dispositions légales et réglementaires relatives aux opérations d’assurance et de réassurance ainsi qu’au contrôle des entreprises de réassurance ; poursuivre la politique de formation des cadres et techniciens d’assurance pour les besoins des entreprises et des administrations des États membres.
30 ans après sa mise en place, le bilan de l’initiative Cima est peut-être discret, mais fort élogieux. Il suffit pour s’en convaincre de constater les réalisations importantes et la qualité des résultats enregistrés. Nous n’en citerons que quelques-uns.
Le Code Cima institue la réglementation unique de la conférence. Il est disponible, toujours actualisé et largement partagé. Cet important recueil de tous les textes applicables en matière assurantielle est en vigueur depuis 1994. Les imposants et futuristes sièges du secrétariat général de la Cima à Libreville, de l’Institut international des assurances de Yaoundé et de la Cica-Re à Lomé sont les fruits d’un ingénieux système de financement pour les deux premiers et de ressources propres pour le troisième. Sur le plan statistique : près de 200 sociétés d’assurance et de réassurance sont agréées pour un chiffre d’affaires de 1489 mds de F CFA au 31 décembre 2021, en évolution constante. 840 mds de F CFA ont été réglés en sinistres et les provisions techniques et mathématiques avoisinent 2 450 mds de FCFA.
Concernant l’assainissement des sociétés et le renforcement de leur capacité financière et de leur solvabilité, aujourd’hui, plus de 80 % des sociétés couvrent leurs engagements réglementés et disposent d’une marge de solvabilité suffisante. Pour celles qui restent encore à la traîne, un suivi de proximité de la commission de contrôle reste très éveillé pour les accompagner afin qu’elles satisfassent aux normes. Plus d’une cinquantaine de sociétés ont vu la totalité de leurs agréments retirés. Toutes les sociétés en activité disposent du capital minimum réglementaire exigé.
La cadence de règlement des sinistres s’est améliorée, même si elle demeure perfectible. Le niveau d’investissement dans les économies et dans les instruments de placement étatiques est significatif.
Sur un tout autre plan, on note une amélioration marquée des capacités des cadres en qualité et en quantité. En effet, l’Institut international des assurances livre tous les deux ans sur les marchés une moyenne de 50 cadres et techniciens supérieurs et plus de 300 agents techniques, tous titulaires du DESS-A, du MSTA-A ou du DTA.
Au-delà de tous ces éléments, je relève un fonctionnement très harmonieux du système, sur des bases convenues et respectées par tous les États. La Cima est sans conteste une brillante réussite de coopération sous-régionale.
Mais beaucoup reste néanmoins à faire, notamment pour relever le défi de l’image ainsi que la qualité de service et des prestations vis-à-vis des assurés et bénéficiaires de contrats d’assurances, autant d’objectifs spécifiques dont je charge le secrétariat général et les organes spécialisés.
EE : L’innovation technologique est à l’origine de l’assurance dématérialisée, de l’introduction de nouveaux produits et de nouveaux canaux de distribution d’assurances. La réglementation a-t-elle évolué pour en tenir compte ?
L’innovation technologique tient en effet une place de plus en plus importante et centrale avec, notamment, la dématérialisation de la plupart des activités humaines favorisée par la technologie numérique. L’industrie des assurances n’échappe pas à cette évolution sans retour. On observe non seulement l’émergence de nouveaux produits, mais aussi d’autres opérateurs qui se déploient en marge des systèmes classiques. Les nouveaux modes de distribution dématérialisés touchent un large panel d’assurables. En particulier la micro-assurance, qui vise à satisfaire les besoins des personnes exclues de la finance classique du fait de leur faible niveau de revenu, semble porteuse de tous les espoirs dans la stratégie d’inclusion financière. Le téléphone portable et les sociétés de téléphonie mobile envahissent progressivement un espace sans limites au regard de la facilité et de l’allégement des procédures des transactions financières de ces outils. Mais tout cela n’est pas sans risques pour les usagers du système financier dans son ensemble et au-delà, pour les économies de nos pays. En l’absence de capacités permettant de contrôler les flux et mouvements (primes collectées, sinistres payés, résultats enregistrés, etc.), l’innovation technologique pourrait malheureusement se muer en une sérieuse menace pour nos populations.
La Cima est à pied d’œuvre pour encadrer l’assurance numérique qui doit être encouragée. Il s’agit à ce stade de bâtir une réglementation suffisamment souple et intégrative de la dynamique, des process et réalités du numérique. Une démarche de benchmarking pourrait permettre de s’approprier les expériences réussies d’autres espaces économiques.
EE : La perception de l’assurance est assez négative auprès de l’opinion de la sous-région et la Cima n’est pas très connue pour une institution de son rang. Qu’est-il prévu pour améliorer la notoriété de l’Institution et développer l’attrait du public pour les assurances ?
Le secteur des assurances dans la sous-région souffre en effet, à tort ou à raison, d’une image assez contrastée auprès du grand public. Cette situation résulte de la conjugaison d’un certain nombre de facteurs dont certains sont intrinsèques à la profession et d’autres indépendants de la volonté des assureurs.
Le premier d’entre eux est relatif à la qualité du service aux assurés, au refus de prendre en charge certains sinistres et aux délais trop longs dans le règlement des sinistres. Ces situations ne relèvent pas toujours de manœuvres sibyllines des compagnies d’assurance ainsi que le grand public le perçoit parfois. Très souvent, l’assuré/ victime peut être à l’origine du glissement des délais de paiement, de même que les autres institutions qui interviennent dans le processus d’indemnisation (établissement des constats, experts, etc.).
Par ailleurs, une communication insuffisante du côté des assureurs contribue tout autant à la dégradation de leur image.
En tout état de cause, l’ensemble du système de la Conférence est mobilisé pour améliorer significativement la cadence de règlement des sinistres et la qualité du service aux assurés. Des avancées importantes ont été faites dans ce sens. Nous devons poursuivre ces efforts pour que les engagements au cœur du métier de l’assurance soient tenus en temps et en quantum.
S’agissant de la notoriété de notre organisation, l’intérêt d’une meilleure visibilité de la Conférence est certain et le bénéfice d’un positionnement affirmé au rang des grandes institutions de supervision des assurances et du secteur financier est incontestable. Nous pensons qu’une révision de la stratégie de communication et une densification des actions permettant une meilleure connaissance du secteur des assurances par le public sont incontournables. Nous y travaillons déjà.
EE : Comment interprétez-vous la non-adhésion à la Cima de 40 pays du continent africain sur les 54 qui le composent ?
Ainsi que le stipule l’article 60 du traité qui institue la Cima, la Conférence interafricaine des marchés d’assurances est ouverte à tous les pays qui le souhaitent. Les seules conditions exigées portent sur la ratification des instruments d’adhésion.
Je voudrais simplement observer que le périmètre de compétence de la Conférence s’ajuste et pourrait s’expliquer par une communauté et une proximité historique, linguistique et économique des pays membres qui, pour la plupart, sont également membres de la zone franc, de la Cemac et de l’Uemoa.
Je voudrais également relever que l’expérience Cima est admirée et sollicitée régulièrement par d’autres zones économiques en Afrique. Cela indique clairement une volonté convergente vers des espaces intégrés, vers la recherche d’ouvertures et de rapprochements intra-, ou extra-zones. Aujourd’hui 14, demain un peu plus ? Nous l’espérons.
EE : Le monde change et nous sommes tous susceptibles d’être confrontés à des cyberattaques, à des dégâts liés aux conditions climatiques, à d’éventuelles nouvelles pandémies, etc. Quelle est votre analyse ? Comment affrontez-vous ces nouvelles réalités ?
Le rôle de l’assurance est précisément d’apporter la réponse sécuritaire dans ces situations redoutées, quelles qu’en soient la nature et l’ampleur. Mais il faut intégrer la dimension et l’échelle. Bien que la technique assurantielle soit fondée sur un système de partage mutuel, on arrive assez vite à la rupture de capacité lorsque le sinistre dépasse les prévisions de l’assureur. On observe ainsi très souvent des exclusions de garantie du fait du caractère pandémique, catastrophique ou climatique des sinistres. Les assureurs et réassureurs sont très engagés dans le renforcement de leurs capacités financières et de leurs outils de prévision et d’analyse.
EE : Comment évaluez-vous l’impact de la pandémie de covid-19 sur le secteur des assurances et réassurances sur le marché de la zone Cima ? Peut-on faire un bilan à ce jour ? La relance est-elle annoncée ?
Il me semble judicieux de distinguer l’impact de la pandémie sur le cœur de métier et son impact connexe et indirect sur le secteur global des assurances dans la zone.
En ce qui concerne le cœur de métier, c’est-à-dire les prestations liées à l’application directe des contrats, jusqu’ici, l’impact de la covid-19 est resté mitigé. On observe une certaine résilience et même globalement une croissance du chiffre d’affaires des sociétés vie et non-vie (+4,8 % en 2020 par rapport à 2019). Cette résilience pourrait s’expliquer par le principe de la technique assurantielle qui exclut la prise en charge les sinistres de nature pandémique. En effet, une fois déclaré, l’état de pandémie entraîne des restrictions à l’accessibilité aux prestations d’assurance et exclut généralement de la couverture des contrats les sinistres y relatifs.
Cependant, s’agissant des effets indirects de la pandémie qui ont touché tous les pans des économies de notre zone, ils sont consécutifs à la baisse d’activité parfois substantielle connue par de nombreuses entreprises assurées. Dans le secteur du tourisme par exemple, plusieurs exploitations assurées ont dû cesser leurs activités.
Je souligne néanmoins que les sociétés d’assurance et leurs associations ont pris la résolution judicieuse de se tenir à l’écoute des assurés et de réviser les clauses exclusives de couverture de leurs contrats d’assurance maladie. Pour leur part, les régulateurs ont incité les sociétés à mettre en place formellement des plans de continuité des activités pour faire face à l’éventualité d’une rupture d’équilibre de leur portefeuille consécutive à la pandémie.
S’agissant de la relance du secteur des assurances, comme vous le savez, cette industrie est étroitement liée aux autres activités économiques et en dépend. Lorsque l’économie va bien, les assurances se portent bien aussi. La reprise de l’activité économique engagée augure de manière quasi automatique celle des assurances.
EE : La prime totale d’assurance de la zone Cima est estimée à environ 2,3 mds d’euros. Plusieurs analystes estiment que cette performance est en deçà du potentiel réel du marché Cima. Selon vous, comment s’explique ce faible taux de pénétration ? Que fera votre institution sous votre direction en vue d’une amélioration ?
Le besoin de couverture en Afrique est largement non satisfait, du moins en ce qui concerne les couches les plus défavorisées, c’est-à-dire à faibles revenus. Le taux de pénétration de l’assurance dans les économies de la zone avoisine à peine les 2 %. Cette situation est liée tant à des facteurs historiques et sociologiques que techniques et économiques.
De manière générale, l’assurance africaine doit faire sa mue sur les plans organisationnels, fonctionnels et processuels. Elle ne peut rester à la traîne des canons de référence mondiaux et des contraintes de qualité et de transparence ni se maintenir en marge du grand wagon de l’inclusion financière, de la dématérialisation et de ses exigences.
le 13 décembre 2022
La rédaction
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