Depuis plus de 30 ans, Canal+ a pour objectif d’offrir le meilleur de la télévision en Afrique, en proposant différentes formules d’abonnement, des offres accessibles et en constante évolution, avec notamment de plus en plus de chaînes africaines, de contenus inédits et exclusifs pour répondre aux attentes et exigences de ses abonnés. Canal+ International (filiale du groupe Canal+) opère des offres de télévision par satellite dans plus de 25 pays en Afrique, avec 15 filiales et plus de 30 partenaires, et compte aujourd’hui plus de 6 millions d’abonnés sur ce continent où elle a également créé plus de 18 000 emplois grâce à ses activités. Canal+ édite 17 chaînes premium pour le continent africain : 12 chaînes de divertissement sont déclinées pour les abonnés selon qu’ils vivent en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest, et 5 chaînes de sport pour profiter pleinement de tous les programmes sportifs. À travers ses sept bouquets, Canal+ propose une offre de 150 chaînes africaines – dont les chaînes nationales gabonaises Gabon 1re, Gabon 24 et Gabon Culture – ainsi que plus de 50 radios africaines accessibles à 5 000 F CFA dans l’offre d’entrée de gamme. La réussite, l’immense succès de cette société qui contribue significativement à l’économie et à l’essor des pays dans lesquels elle est implantée, doit pourtant lutter contre un phénomène qui parait incurable : le piratage. Pour mieux comprendre ce conflit récurrent, nous nous sommes rapprochés du directeur général de Canal +Gabon, Monsieur Edoh Signon.
Portrait et parcours de Monsieur Edoh Signon
De nationalité togolaise, 40 ans, marié, 4 enfants. Diplômé de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et de l’IAE de Paris, il cumule 16 années d’expérience, dont 12 en tant qu’auditeur financier chez Deloitte. Il a travaillé dans une dizaine de pays en Afrique centrale et de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Congo-Brazzaville, Gabon, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Togo), où il a audité et conseillé plus d’une centaine d’entreprises nationales et internationales plurisectorielles.
Il a intégré le groupe en 2018 en tant que directeur administratif et financier de Canal+ Bénin, gérant également cumulativement les finances de quatre autres entités du Groupe au Bénin. Edoh Signon occupe aujourd’hui le poste de directeur général de Canal+ Gabon.
EE : Monsieur Edoh Signon, vous occupez le poste de DG de Canal+ Gabon depuis mars 2022. Sept mois de recul vous permettent-ils d’établir un comparatif avec les autres pays dans lesquels vous avez travaillé ?
Oui, sachant que je connais le Gabon pour y avoir travaillé de 2011 à 2018 en tant qu’auditeur financier. J’observe des différences d’ordre structurel avec la dizaine de pays dans lesquels j’ai travaillé. L’une d’elles est singulière : le pouvoir d’achat plus élevé des ménages gabonais, mais également la qualité des installations et infrastructures numériques (respectivement 166 % et 124 % de taux de pénétration pour la téléphonie mobile et l’internet au 1er trimestre de l’année, selon les chiffres de l’Arcep). Le Gabon est assez particulier sur ces sujets.
EE : Comment se porte Canal+ Gabon ?
Nous observons une baisse de la consommation. Le choix des abonnements aux différents bouquets tend vers des formules d’entrée de gamme, avec un phénomène du pouvoir d’achat des ménages qui s’érode au fil des années.
Par ailleurs, des contenus illicites et « pirates » amplifiés par des diffuseurs illégaux qui ne s’affranchissent d’aucune charge (impôts, salaires, taxes, etc.), contrairement à nous, jouent également un rôle. Par voie de conséquence, le chiffre d’affaires décroît. Canal+ Gabon génère près de 2 000 emplois directs et indirects sur l’ensemble du pays. Cela n’est pas anodin et risque de devenir problématique dans les années à venir si rien n’est fait pour endiguer les contenus illicites et pirates.
EE : L’accès aux chaînes de sport, notamment le foot, fait l’objet d’une polémique autour du piratage. Comment contribuez-vous à la défense des droits des diffuseurs ? Où en êtes-vous du règlement de ce conflit ? Quel est le manque à gagner pour votre groupe ? En bref, comment pouvez-vous prétendre lutter contre ce fléau mondial, contre l’accès à des milliers de chaînes distribuées en digital depuis l’autre bout du monde ?
Nous parlions de comparatifs, alors je me propose d’y revenir plus longuement pour être, à ce sujet, le plus clair possible. Les titulaires de droits comme Gabon Télévision, beIN Sports, LaLiga, la Motion Picture Association, Startimes, TNT Africa, l’UEFA et nous-mêmes, le groupe Canal+, sommes victimes de multiples formes de piratage dans bon nombre de pays et en particulier au Gabon, où nous faisons face à deux formes principales de piratage.
Premièrement, tous ces ayants droit subissent un piratage auquel s’adonne notre concurrent principal sur la TNT payante que je ne nommerai pas. Cet opérateur bien connu diffuse certaines chaînes et programmes sans aucune autorisation des titulaires de droits (éditeurs, producteurs ou distributeurs de contenus). Par exemple, il est inconcevable et interdit de pouvoir regarder les chaînes beIN Sports au Gabon, car le groupe beIN Sports n’a pas de droits au Gabon sur les compétitions qu’il diffuse. Ainsi, pour la défense des ayants droit, comme dans ce cas, des poursuites judiciaires contre cet opérateur sont menées devant les tribunaux gabonais. Malgré les décisions de justice remportées par les ayants droit, dont Canal+ Gabon, depuis plus d’une dizaine d’années, aucune de ces décisions de justice n’a été appliquée jusqu’alors au Gabon. À titre de comparaison, dans les autres pays où nous sommes présents, il est juste impensable que des décisions de justice soient obtenues et qu’elles ne soient pas respectées.
Ensuite, nous subissons le piratage en ligne qui s’émancipe aussi vite que se développe l’internet. Il s’agit de sites internet souvent gratuits avec beaucoup de publicité à caractère pornographique, de propagande religieuse ou politique, qui permettent de regarder les films ou le foot sur des réseaux sociaux comme Facebook ou d’avoir accès à des milliers de chaînes de télévision via une application dite « IPTV » (Internet Protocole Television). Ces offres internet illicites sont créées par des personnes anonymes liées à des organisations criminelles internationales. Leurs offres sont vendues à bas coût, soit sur internet, soit par des revendeurs locaux en boutique ou sur le marché. Ces personnes pratiquent des prix dérisoires, car nos contenus sont volés. Ils ne payent aucune charge, pas de droit de diffusion, de droits d’auteur, d’impôts ni de taxes. L’une des principales victimes de ce fléau, en dehors des ayants droit, reste l’État gabonais, avec un manque à gagner évalué à des milliards de francs par an. En cause, les recettes manquantes de TVA, de cotisations sociales et patronales, de l’impôt sur les sociétés, de la redevance, etc.
Concernant cette dernière forme de piratage par internet, il existe une solution très efficace qui est le blocage des flux illicites par les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et opérateurs télécoms sur demande des ayants droit. Ce mécanisme est mis en place dans de nombreux pays dans le monde, y compris en Afrique dans les pays où nous sommes présents comme la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Congo-Brazzaville, la RDC, etc. Dans ces pays, sur décision de justice (tribunal du commerce) ou décision administrative (ministre de tutelle, haute autorité de l’audiovisuel, Arcep), les ayants droit envoient la liste des sites pirates directement aux FAI qui procèdent au blocage des flux illicites en quelques minutes. Et cela marche très bien dans ces pays voisins. Des démarches sont menées au Gabon pour parvenir à un tel dispositif, mais cela prend un temps trop long compte tenu des enjeux sur l’emploi des Gabonais, la protection de nos enfants, la perte de recettes pour l’État, etc.
Les titulaires de droits ont aussi la possibilité de déposer plainte pour que les autorités appréhendent les revendeurs d’offres et de matériels illicites. Les forces de l’ordre de Libreville ont ainsi pu mener des interpellations en mars et en octobre dernier. Ce sont aussi de nombreux emplois du secteur de l’audiovisuel qui se trouvent menacés. Enfin, la consommation de ces offres illicites réduit considérablement notre capacité à investir dans la production de contenus spécifiquement dédiés à nos abonnés africains tels que les séries Canal+ Original, les émissions et magazines dans lesquels s’illustrent les talents gabonais.
EE : Quelles sont les chaînes qui remportent le plus vif succès ? Vous avez acheté des droits de diffusion à des chaînes nigérianes : Novelas, Nollywood, etc. Ont-elles fait l’objet d’un engouement particulier ?
Nous n’avons pas acheté des droits de diffusion, nous éditons ces chaînes. Nous comptons quatre grandes chaînes thématiques dont A+, Nollywood TV, Nollywood TV Epic et Novelas TV. Nous éditons également quatre chaînes en langues locales : Sunu Yeuf au Sénégal, Maboke TV au Congo RDC, Novegasy à Madagascar et Zacu TV au Rwanda.
Cet ancrage local se poursuivra progressivement dans les autres pays.
En termes d’audience, Novelas et Nollywood remportent effectivement le plus vif succès.
L’engouement s’explique certainement par la qualité des séries qui y sont diffusées et le fait que nos téléspectateurs, hommes et femmes, se retrouvent, se reconnaissent dans les histoires, les parodies ou les décors…
EE : Canal+ Gabon a produit des séries telles que « Basket Académy », « Mami Wata » ou encore « Eki ». Le succès était au rendez-vous. Quelles sont vos intentions de création dans ce domaine ?
Nous sommes régulièrement approchés par des producteurs gabonais qui nous proposent de très beaux projets. Nos collègues chargés des contenus en interne sont à l’étude de plusieurs d'entre eux. Ce que je peux divulguer officiellement, c’est qu’en 2023, dix séries du label Canal+ Original seront produites. En ce moment, vous pouvez visionner notre premier feuilleton quotidien, « Le futur est à nous », qui comprend soixante épisodes, ainsi que « Terranga », la nouvelle série Canal+ Original de huit épisodes produits au Sénégal. En local, nous avons des discussions également avec l’Institut gabonais de l’image et du son (Igis) pour une réflexion globale sur l’accompagnement dans la production de films, feuilletons, etc.
EE : Canal Olympia Port-Gentil a été fermé pendant la pandémie de covid-19. Cette salle est-elle réouverte ? Qu’en est-il du projet de Canal Olympia de Libreville ?
La salle de Port-Gentil a réouvert il y a quelques mois. Canal Olympia a particulièrement souffert de cette coupure nette, comme beaucoup d’autres corporations. La reprise est progressive et la diffusion de films à l’affiche dans le monde entier est parfois même offerte en avant-première. C’est aussi cela la force du groupe Canal+/ Vivendi.
Concernant Canal Olympia à Libreville, l’impact des complications occasionnées par la pandémie a freiné l’évolution du projet. Nos collègues de Canal Olympia reviennent de loin. Ils se donnent le temps de se reconstituer structurellement avant de se pencher sur l’ouverture de nouvelles salles de cinéma.
EE : Considérez-vous que Netflix fait de l’ombre à de potentiels adhérents ?
Non, je ne l’exprime pas ainsi parce qu’en France et dans d’autres pays, Canal+ et Netflix collaborent, s’autopromeuvent. Fondamentalement, notre métier est de vendre de l’occupation du temps. Si on veut voir de manière plus large, par déduction, la concurrence ne vient pas seulement de Netflix, mais également des autres formes d’occupation du temps des abonnés (les restaurants, les bars et boîtes de nuit, les divertissements extérieurs, etc.).
EE : Monsieur Signon, quelle est votre analyse du manque de fréquentation observé dans les salles de cinéma à l’échelle internationale ?
Je pense que la pandémie a bouleversé nos vies, nos habitudes, nos choix. Je fais confiance à l’industrie du cinéma pour reconquérir son public. Le monde a changé, les investissements dans des matériels comme les home cinémas, les chaînes faciles d’accès par le piratage (encore une fois), sont autant de paramètres qui desservent le cinéma. D’où l’ambition de Canal Olympia de se redresser économiquement, parce que nos salles sont accessibles au plus grand nombre, avec des tickets d’entrée très bas, à 1 500 F CFA voire 1 000 F CFA, et des tarifs spéciaux pour les jeunes, les étudiants, les familles. Ainsi, nous contribuons à générer un intérêt vis-à-vis du 7e art.
EE : Quelle est votre politique de développement ?
Très clairement, notre politique de développement n’est plus de solliciter massivement d’autres abonnés, mais de stabiliser les acquis, de travailler les contenus, d’améliorer, de produire des émissions ou des séries 100 % gabonaises. C’est vraiment cela notre perspective de développement, d’évolution, d’investissement. Nous allons continuer à travailler très efficacement en collaboration avec l’Igis, les acteurs, producteurs, réalisateurs d’ici, afin d’accélérer notre empreinte gabonaise sur les contenus diffusés sur nos chaînes.
le 14 novembre 2022
Anne-Marie Jobin
Canal+, Télévision,Piratage
Internet en Afrique
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